samedi, janvier 06, 2007

N°211 - Journal de Palestine Special dossier - 06-01

médias
1-1 Un nouveau site d’informations et d’analyses pour la Palestine.

3 Dossier
3-1 Point de vue de Stefan Durand : Fascisme, islam et grossiers amalgames.

3-2 Point de vue de Meron Benvenisti : Les temples de l’occupation.

3-3 Point de vue de Virginia Tilley : Qu’allez-vous faire maintenant, Israël ?

3-4 Point de vue de Assad Ghanem : De quoi vous êtes-vous alarmés ?

3-5 Point de vue de Tariq Ramadan : Palestine, Israël et la conscience planétaire.

3-6 Point de vue de Georges Lattier : Palestine : les responsabilités des dirigeants israéliens et occidentaux.

3-7 Point de vue de Pierre Stambul : Une religion érigée en idéologie d’occupation sur la base d’un mensonge.

3-8 Point de vue de Achraf Aboul-Hol : L’inexorable asphyxie.

3-9 point de vue de Akiva Eldar : Quarante années d¹ambiguïté...

5 Annexe
5-1 La BEI reprend sa coopération avec Israël après 11 ans de gel.



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1 Médias

1-1 Un nouveau site d’informations et d’analyses pour la Palestine.
Info-palestine : http://www.info-palestine.net


Le Bulletin Palestine salue la venue d’un nouveau site d’informations et d’analyses pour la Palestine. L’équipe d’Info-palestine donne pour base de ses choix la déclaration suivante :
Ce site Internet a pour objectif de rendre accessible un ensemble d’informations et d’analyses sur la situation en Palestine occupée.
Il est animé par une équipe assurant traductions et publications à partir de sources essentiellement proche-orientales, dans le but de diffuser un point de vue proche des réalités du terrain sur le conflit israélo-palestinien et israélo-arabe en général.
Le groupe de rédaction dans son intégralité considère que la juste résolution du conflit israélo-palestinien passe par le respect de tous les droits des peuples concernés et notamment par l’application stricte des résolutions internationales, avec en particulier l’application du droit au retour des réfugiés Palestiniens, la libération de tous les prisonniers des prisons israéliennes, l’évacuation des territoires occupés illégalement par l’état d’Israël lors de la guerre de 1967 impliquant l’évacuation des colonies israéliennes installées en territoire palestinien ainsi que la destruction du Mur d’Apartheid.
En résumé, nous sommes solidaires du mouvement national palestinien dans toutes ses composantes et voulons contribuer à la lutte du peuple Palestinien pour le recouvrement de ses droits nationaux.
Nous sommes également solidaires du mouvement anti-colonialiste israélien qui bien que minoritaire aujourd’hui est un élément essentiel d’un futur règlement politique du conflit.
Appartenant ou non aux diverses associations du mouvement de solidarité avec la Palestine, nous voulons faire de ce site un site de référence, sans option partisane à l’intérieur de ce mouvement de solidarité.
Ce groupe de rédaction assurera une mise à jour régulière des publications, que ce soit en assurant ses propres traductions où en reprenant l’information en provenance d’autres sites et sans que l’opinion publiée reflète obligatoirement celle du groupe. Notre ambition est de mettre à disposition des internautes une information pertinente et utile pour les actions de soutien à la cause palestinienne.
Le comité de rédaction



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3 Dossier

Ndlr : PS : La publication des articles ou analyse ne signifie nullement que la rédaction partage les analyses ou point de vue des auteurs, mais doit être vu comme information

3-1 Point de vue de Stefan Durand : Fascisme, islam et grossiers amalgames.

Alors que les Etats-Unis s’enlisent en Irak et que ce pays sombre dans la guerre civile, l’administration Bush continue de justifier ses interventions au Proche-Orient au nom de la lutte contre le « fascisme islamique ».

Ce cadre idéologique permet de ranger dans la même catégorie des mouvements disparates, d’Al-Qaida au Hezbollah en passant par les Frères musulmans.

« Ils procèdent par gros concepts, aussi gros que des dents creuses. La loi, le pouvoir, le maître, le monde, la rébellion, la foi. Ils peuvent ainsi faire des mélanges grotesques, des dualismes sommaires, la loi et le rebelle, le pouvoir et l’ange. » En cela, « ils cassent le travail consistant à “former” des concepts à articulation fine, ou très différenciée, pour échapper aux grosses notions dualistes. »

En 1977, Gilles Deleuze dénonçait ce qu’il appelait la « pensée nulle » des « nouveaux philosophes ».

Trente années plus tard, ces penseurs toujours « nuls » mais plus vraiment « nouveaux » et toujours pas « philosophes » se retrouvent à l’avant-garde pour propager en France, sur la base de « mélanges grotesques », le concept creux de « fascisme islamique ».

On pourrait se contenter de passer outre si ce concept n’avait pas été utilisé publiquement par le président des Etats-Unis, M. George W. Bush, le 7 août 2006, et à l’occasion d’autres discours officiels américains, dans lesquels on regroupait des organisations fort différentes les unes des autres (Al-Qaida, les Frères musulmans, le Hamas, le Hezbollah...), faisant de ces mouvements les « successeurs du nazisme et du communisme ». La requalification de la « guerre contre le terrorisme » en « guerre contre le fascisme islamique », et donc l’inscription des mouvements fondamentalistes musulmans dans la lignée de ce qu’on a appelé au XXe siècle, sans distinctions, les « totalitarismes », n’est pas innocente. Elle vise à relégitimer des politiques bellicistes, en se fondant sur des amalgames et sur les vieilles ficelles de la « politique de la peur ».

La paternité du néologisme « islamo-fascisme » a été revendiquée dans l’hebdomadaire néoconservateur The Weekly Standard par le journaliste Stephen Schwartz (1), qui collabore par ailleurs à un site Internet très controversé, FrontPage magazine, de David Horowitz.

Toutefois, n’ayant utilisé le terme pour la première fois qu’en 2001, ce n’est donc pas Schwartz qui a inventé l’expression, mais l’historien Malise Ruthven en 1990, dans le quotidien britannique The Independent (2). Et Christopher Hitchens a popularisé la formule aux Etats-Unis. Journaliste brillant, autrefois à gauche, il s’est rallié à la guerre contre l’Irak du président Bush. Mais c’est probablement à l’orientaliste Bernard Lewis (3), conseiller de la Maison Blanche, mû par une forte hostilité envers l’islam, qu’on doit son cheminement jusque dans un discours officiel du président. Schwartz se considère d’ailleurs comme un disciple de Lewis.



Des mouvements transnationaux

Si l’on se fonde sur les traditionnelles définitions théoriques formulées par des experts du fascisme (Hannah Arendt, Renzo De Felice, Stanley Payne ou Robert O. Paxton), on s’aperçoit qu’aucun des mouvements islamistes regroupés par le président Bush dans l’expression « islamo-fascisme » ne correspond aux critères. Non pas que la religion soit incompatible avec le fascisme. Si Payne estime que le fascisme a besoin pour se développer d’un espace séculier (4), Paxton et d’autres lui rétorquent que cela ne vaut que dans le cas européen. Il peut bel et bien exister un fascisme musulman, comme d’ailleurs un fascisme chrétien, un fascisme hindou et un fascisme juif.

Toutefois, les mouvements montrés du doigt par l’administration Bush n’entrent pas dans cette catégorie. L’islamisme doit être appréhendé comme un phénomène contemporain, nouveau et distinct. Certains éléments du fascisme traditionnel peuvent assurément être décelés dans des mouvements fondamentalistes musulmans : la dimension paramilitaire, le sentiment d’humiliation et le culte du chef charismatique (dans une mesure toutefois relative et peu comparable avec les cultes du Duce ou du Führer). Mais toutes les autres dimensions (nationalisme expansionniste, corporatisme, bureaucratie, culte du corps...), fondamentales, du fascisme font généralement défaut.

Les mouvements islamistes sont souvent transnationaux, et donc bien loin du « nationalisme intégral » qui caractérisa les fascismes européens des années 1930. Le fascisme était, par nature, impérialiste et expansionniste. Or, s’il est vrai que des cellules d’Al-Qaida opèrent dans de nombreux pays et que certains mouvements islamistes rêvent d’une reconquête de l’Andalousie ou de la Sicile et de la restauration du califat, des formations comme le Hamas et le Hezbollah, si contestables que puissent être leurs orientations religieuses et certaines de leurs actions armées (en particulier les attentats contre des civils), sont en lutte contre des occupations territoriales.

De son côté, le régime des talibans en Afghanistan s’apparentait davantage, par son absolutisme religieux, aux théocraties obscurantistes du Moyen Age qu’aux régimes fascistes ayant émergé dans les pays industrialisés à la suite de la première guerre mondiale.

La dimension corporatiste – relation quasi fusionnelle entre l’Etat, les entreprises et les corps de métiers –, inhérente au fascisme, fait également défaut dans le contexte islamique (la relation étroite, en Iran, entre les commerçants du bazar et le régime ne peut lui être comparée). De plus, les mouvements islamistes ne sont pas, en général, soutenus par le complexe militaro-industriel d’un pays, même si, en Iran encore, l’articulation entre l’Etat religieux et la puissante industrie militaire pourrait laisser penser le contraire. Mais cette articulation existe aussi dans des pays qu’on ne saurait qualifier de « fascistes », par exemple les Etats-Unis, la France ou le Japon.

Disposer d’un « Etat partisan » représente une condition nécessaire à l’exercice d’un pouvoir de nature fasciste. Or les groupes islamistes ciblés sont le plus souvent des organisations non étatiques, en marge du pouvoir de leur pays, ou persécutés par ce dernier. Par ailleurs, si paradoxal que cela puisse paraître pour des mouvements idéologiquement structurés par la religion, les aspects idéologiques apparaissent souvent secondaires chez ces organisations islamistes, alors que Raymond Aron soulignait la « place démentielle » de l’idéologie dans tout système totalitaire, lequel reposait selon lui sur un « primat de l’idéologie (5) ».

Les mouvements islamistes instrumentalisent la religion et cherchent à s’en servir comme d’une idéologie, mais il n’y a pas volonté de créer un « homme nouveau », comme ce fut le cas en Europe. Il s’agit plus de vieux archaïsmes religieux ou sociétaux que d’une idéologie globale et cohérente. De surcroît, le succès populaire de ces mouvements découle souvent de facteurs autres qu’idéologiques. A titre d’exemple, le vote Hamas ne reflète pas une adhésion du peuple palestinien à l’idéologie religieuse de ce mouvement, mais serait surtout la résultante d’un vote-sanction contre la corruption du Fatah. Au Liban, nombreux sont ceux qui soutiennent le Hezbollah sans souscrire pour autant à son discours islamiste. Et les intellectuels qui appuient ces mouvements le font généralement en dépit de leur idéologie, non par adhésion à l’islamisme. En revanche, le fascisme et le nazisme, en tant qu’idéologies, ont séduit des intellectuels par milliers, dont certains très éminents.

Al-Qaida, par exemple, ne peut se prévaloir que de rares soutiens de cet ordre, et son discours, des plus sommaires, rappelle davantage celui des phénomènes sectaires anciens que celui des régimes fascistes européens.

Le fascisme et le nazisme étaient des mouvements de masse, fondés sur une politisation et un consentement des foules, alors que les organisations islamistes, en dépit de tous les éléments propices, comme la crise économique et l’humiliation généralisée, se heurtent dans la plupart des pays musulmans à des sociétés civiles attachées à leurs libertés. Le nombre de ceux qui soutiennent les mouvements fondamentalistes musulmans en Afrique du Nord n’est pas beaucoup plus élevé que le nombre de ceux qui, en Europe, soutiennent les mouvements de la droite extrême. Le mouvement Al-Qaida ne parvient à séduire qu’une partie très réduite des musulmans. Dans chacun des pays musulmans sommeillent, sous des dictatures fréquemment inféodées aux Etats-Unis, des sociétés civiles extraordinairement vives, non pratiquantes et antitotalitaires. En outre, comme l’écrit Paxton : « Ce qui nous empêche essentiellement de succomber à la tentation de taxer de fascistes les mouvements islamiques fondamentalistes comme Al-Qaida et les talibans est qu’ils ne sont pas le produit d’une réaction contre des démocraties dysfonctionnelles. Leur unité est davantage organique que mécanique, pour reprendre la célèbre distinction d’Emile Durkheim (6). Par-dessus tout, ces mouvements ne peuvent pas “renoncer aux institutions libres”, n’en ayant jamais eu (7). » On pourrait évoquer bien d’autres éléments permettant de récuser cette analogie avec le fascisme : pas de monopole de l’information (même en Iran ou en Arabie saoudite, malgré le strict contrôle du pouvoir religieux, des brèches existent qui laissent passer le souffle d’une certaine liberté), pas de darwinisme social, pas d’économie dirigée ni de mobilisation planifiée de l’industrie, pas de monopole des armes...

Le cas de la République islamique d’Iran est certes problématique. M. Mahmoud Ahmadinejad peut s’appuyer sur un « Etat partisan », contrôle très étroitement les médias par l’intermédiaire d’un ministère de la culture et de l’orientation islamique, et mobilise son économie – planifiée – ainsi que son imposant complexe militaro-industriel. Peut-on pour autant parler, même dans ce cas, d’islamo-fascisme ? Pas vraiment, tant les contre-pouvoirs demeurent nombreux et la société civile vigilante. Le président iranien doit composer avec le Majlis (Parlement), et il lui a fallu plusieurs mois pour obtenir de celui-ci la confirmation de certains ministres. Le numéro un de l’Etat iranien, le « guide suprême », l’ayatollah Ali Khamenei, a par ailleurs soumis les décisions du gouvernement de M. Ahmadinejad à l’aval du Conseil de discernement, dirigé par M. Hachémi Rafsandjani, qui n’est autre que le candidat défait par M. Ahmadinejad à l’élection présidentielle.

M. Ahmadinejad doit aussi composer avec l’ancien président, le « réformateur » Mohammad Khatami, lequel conserve une popularité non négligeable. L’éditorialiste Tzvi Barel soutient dans Haaretz que les diatribes anti-israéliennes du président iranien « s’expliquent en fait par les tensions idéologiques et les rapports de forces au sein de la République islamique (8) ». Enfin, le « populiste » Ahmadinejad a beaucoup de mal à séduire les élites, et une grande partie de la société civile iranienne est déterminée à lutter contre l’emprise des ultraconservateurs.

Si le terme générique d’« islamo-fascisme » paraît incongru, cela ne signifie pas que l’imprégnation fasciste soit absente en contexte islamique. Les mondes arabe et musulman comptent un nombre considérable de dictatures et de régimes autoritaires que l’on pourrait qualifier de fascisants, souvent alliés des Etats-Unis dans leur « guerre mondiale contre le terrorisme ». Les dictateurs d’Azerbaïdjan, d’Ouzbékistan, du Kazakhstan et du Turkménistan, quatre Etats musulmans, sont curieusement épargnés par les critiques américaines, bien que le caractère semi-fasciste de ces régimes saute aux yeux. La monarchie saoudienne est en odeur de sainteté à Washington, malgré son fondamentalisme et son obscurantisme religieux, son appui à des mouvements islamistes radicaux et ses outrances. Le soutien à la politique extérieure américaine paraît valoir excuse de toutes les dérives autocratiques et fascisantes. Désormais absous dans les chancelleries occidentales après avoir renié son turbulent passé, comme le réclamait Washington, le colonel Mouammar Kadhafi a pu célébrer le trente-septième anniversaire de son arrivée au pouvoir en appelant au meurtre de ses opposants, sans que nul ne s’en émeuve en Occident (9).

Le terme « fasciste » pouvait-il se justifier à propos de la dictature du président Saddam Hussein, des baasistes et de leurs moukhabarat (services secrets) en Irak ? Sans doute. Le régime de M. Hussein était un régime ultranationaliste, reposant sur le culte démesuré du chef, ne distinguant pas entre les sphères publique et privée, et de surcroît expansionniste. Lors d’une conférence au Koweït en 1987, Edward W. Said avait mis en garde les gouvernants du Golfe : « En continuant de soutenir financièrement Saddam Hussein, vous vous rendez complices de ce fascisme arabe, dont vous finirez par être les victimes. » Ce n’est que le 2 août 1990, après l’invasion de leur pays, que les dirigeants koweïtiens le comprirent.



Anciens alliés de Washington

L’hypocrisie est encore plus frappante si l’on songe que ceux que l’on qualifie aujourd’hui d’« islamo-fascistes », notamment les néotalibans afghans, étaient, durant leur lutte contre les Soviétiques dans les années 1980, encensés à Washington comme les « équivalents moraux » des Pères fondateurs des Etats-Unis (10). Les Frères musulmans égyptiens ont été eux aussi très généreusement aidés par les services de renseignement britanniques et américains. Et le gouvernement israélien a favorisé les Frères musulmans en Palestine (avant la naissance du Hamas) pour endiguer le pouvoir du Fatah, des marxistes et de l’Organisation de libération de la Palestine.

On peut et on doit critiquer avec détermination certains mouvements obscurantistes et fanatiques qui, dans le monde musulman, ont recours au terrorisme, mais sans pour autant employer des termes provocants et datés comme « nazislamisme » ou « islamo-fascisme », qui stigmatisent des populations entières en établissant une relation directe entre leur religion et les partis extrémistes qui l’ont instrumentalisée au nom d’objectifs politiques. Refuser un concept frauduleux ne signifie nullement que l’on doive s’interdire de critiquer les crimes des islamistes et leur vision du monde. Le brillant intellectuel pakistanais Eqbal Ahmad n’a-t-il pas fait preuve d’un courage exceptionnel en défendant devant des foules pakistanaises en colère l’écrivain Salman Rushdie, menacé de mort par une fatwa iranienne ?

Toutes ces considérations n’ont que peu d’importance aux yeux des jacksoniens (11) et des néoconservateurs qui dominent la politique extérieure des Etats-Unis, pour qui l’usage de l’expression « fascisme islamique » est surtout utile en raison de sa charge émotionnelle. Elle permet de semer la peur. Or c’est là que réside l’un des principaux dangers. En accréditant l’idée que l’Occident combat un nouveau fascisme et de nouveaux Hitler, on prépare l’opinion à accepter l’idée que la guerre peut et doit être « préventive ». La réponse à la « menace fasciste », massive, se trouve donc justifiée quelles qu’en soient les conséquences en termes de vies humaines. « Les Alliés ont bien bombardé Dresde », répliquèrent certains néoconservateurs à ceux qui critiquaient le largage par les F-16 israéliens de centaines de bombes à sous-munitions sur des quartiers civils libanais.

L’acharnement à vouloir « nazifier » son adversaire n’a rien d’inédit. Périodiquement, les médias occidentaux découvrent un « IVe Reich » et un « nouveau Führer ». Successivement Gamal Abdel Nasser, Yasser Arafat, Slobodan Milosevic, M. Hussein et à présent M. Ahmadinejad ont été comparés à Hitler. Nasser était appelé le « Hitler du Nil ». Menahem Begin qualifiait Arafat de « Hitler arabe ».

Aujourd’hui, le président iranien et ses philippiques négationnistes offrent un terrain fertile aux manipulations des médias. C’est ainsi que le néoconservateur iranien Amir Taheri, ancien collaborateur du Shah, a diffusé une « nouvelle » selon laquelle l’Iran s’apprêterait à faire porter l’étoile jaune aux juifs iraniens. Bien que fausse, elle a fait la « une » du quotidien conservateur canadien The National Post, avec en gros titre : « Le IVe Reich ». Que cette information ait été vigoureusement niée par les juifs iraniens eux-mêmes et par toute la presse n’a rien changé à l’affaire. Le « coup médiatique » a réussi, et des centaines de milliers de Canadiens et d’Américains sont désormais convaincus que les juifs iraniens portent une étoile jaune. Ce qui sera fort utile si les Etats-Unis décident de lancer une nouvelle guerre préventive contre l’Iran...

Les utilisateurs de l’expression « islamo-fascisme » ont en commun de vouloir en découdre et de poursuivre les actions armées menées au nom de la « guerre mondiale contre le terrorisme ». Au fil des ans, l’historien britannique Lewis a popularisé la notion selon laquelle les Arabes et les « Orientaux » ne comprennent que la force. Il aurait été bien inspiré de lire Arendt, qui écrivait : « Nonobstant tous les espoirs du contraire, il semble qu’il y a un argument que les Arabes sont incapables de comprendre : c’est la force (12). »

Unir sous une seule bannière, celle d’« islamo-fascistes », des dizaines de mouvements disparates, souvent en conflit les uns avec les autres, et ayant des objectifs très divers, permet d’enraciner le mythe d’un complot islamiste mondial, d’occulter les questions géopolitiques purement profanes, et donc de ne plus évoquer les causes qui ont entraîné la naissance de la plupart de ces mouvements. Notamment les occupations coloniales et les conflits territoriaux dont seule une juste résolution peut permettre d’assécher le terreau sur lequel prospère le terrorisme islamiste contemporain.

On singe à peu de frais les postures churchilliennes et on se permet symétriquement de traiter de « munichois » tous ceux qui s’opposent à ces guerres aussi absurdes que contre-productives. Au lieu de voir en eux des esprits lucides, on les présente comme autant d’« idiots utiles », incarnations modernes d’Edouard Daladier et de Neville Chamberlain signant en 1938 les accords de Munich avec Hitler. « Rien n’est pire que les prétendues leçons de l’Histoire, lorsqu’elle est mal comprise et mal interprétée », disait Paul Valéry.

Stefan Durand

Chercheur.

Le Monde-diplmatique de novembre 2006

http://www.aloufok.net/article.php3?id_article=3597



Notes

(1) Cf. son article du 17 août 2006, « What is “islamofascism” ? ».

(2) 8 septembre 1990 : « L’autoritarisme gouvernemental, pour ne pas dire l’islamo-fascisme, est la règle plutôt que l’exception du Maroc au Pakistan. »

(3) Lire Alain Gresh, « Bernard Lewis et le gène de l’islam », Le Monde diplomatique, août 2005.

(4) Parce qu’à ses yeux « un fascisme religieux limiterait inévitablement les pouvoirs de son dirigeant, non seulement à cause du contre-pouvoir culturel du clergé, mais aussi des préceptes et des valeurs véhiculés par la religion traditionnelle ».

(5) Raymond Aron, Démocratie et totalitarisme, Gallimard, Paris, 1965.

(6) Pour simplifier, la théorie durkheimienne oppose la « solidarité organique », caractérisée par la différenciation et une faible conscience collective, à la « solidarité mécanique », caractérisée par les ressemblances et une forte conscience collective.

(7) Robert O. Paxton, Le fascisme en action, Seuil, Paris, 2004.

(8) Cet article a été repris par Courrier international le 3 novembre 2005, sous le titre « Cause toujours, Ahmadinejad ».

(9) Dépêche Reuters du 31 août 2006. En d’autres temps, cette nouvelle aurait fait la « une » des grands quotidiens américains.

(10) Pour un panorama global de ces liaisons dangereuses, notamment en Asie du Sud-Est, cf. l’ouvrage du professeur à Columbia Mahmoud Mamdani, Good Muslim, Bad Muslim. America, the Cold War and the roots of terror, Three Leaves Publishing, New York, 2005.

(11) Walter Russel Mead appelle « jacksoniens », en référence au président américain Andrew Jackson (1829-1837), les ultranationalistes qui n’hésitent pas à intervenir à l’extérieur mais qui, contrairement aux néoconservateurs, ne cherchent pas à s’engager dans le nation building. MM. Richard Cheney et Donald Rumsfeld peuvent être qualifiés de « jacksoniens ».

(12) Hannah Arendt, « Peace or armistice in the Near East ? », dans Review of Politics, université Notre-Dame, Indiana, janvier 1950.

www.aloufok.net





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3-2 Point de vue de Meron Benvenisti : Les temples de l’occupation.
[A ce jour, pas un seul barrage n’a encore été retiré en Cisjordanie sur les dizaines de barrages qu’il avait été décidé d’enlever pour faire un « geste » à l’égard de Mahmoud Abbas].
Le projet de « levée des barrages » est repoussé, sous l’un ou l’autre prétexte, depuis quelques années déjà et, en attendant, leur nombre a augmenté. On peut supposer avec un bon niveau de certitude que cette nouvelle tentative visant à faciliter la vie des Palestiniens échouera elle aussi, tout comme les précédentes. Parce que le régime des barrages n’est pas l’affaire d’un geste insignifiant, marginal, ni une question de nombre dont la réduction serait susceptible d’indiquer un changement quelconque dans la situation existant dans les Territoires occupés. Les barrages constituent le pilier central du contrôle israélien sur la Cisjordanie et ils remplissent trois fonctions fondamentales : symbolique, géostratégique et sociopolitique. Dès lors, à celui qui ne leur reconnaîtrait qu’une signification tactique sécuritaire ou un lien de dépendance aux colonies, il manquerait l’essentiel.
De ce point de vue, les officiers de l’armée israélienne (qui sabotent toute tentative de lever des barrages) sont plus fidèles et dévoués aux conceptions de base d’Israël que le Premier Ministre et le Ministre de la Défense qui utilisent les barrages comme un moyen politique à court terme. Les centaines de barrages fixes ou mobiles, construits ou improvisés, blocs de béton ou barrières tournantes, monceaux de terre ou tranchées, sont tous conçus dans un même but : marquer qui a le pouvoir de contrôler la vie des Palestiniens.
De petits groupes de jeunes soldats font office d’agents d’une autorité qui force des centaines de milliers de personnes à se conformer à des lois arbitraires qui désorganisent leur vie au niveau le plus élémentaire. Ce contrôle est mis en œuvre, pour l’essentiel, sans qu’il soit besoin de recourir à la force mais en jouant sur la peur et l’inquiétude des Palestiniens.
Le mépris pour les Palestiniens et le recours à une mentalité de soumission ne se manifestent pas seulement par les barrages, mais aussi par les procédures de « contrôle » qui sont appliquées sans égard pour la dignité des Palestiniens ni leurs besoins. On attend d’eux qu’ils attendent, en file, en silence et dociles. Sinon, on les « punit ».
Les régimes coloniaux se sont toujours appuyés sur l’arrogance de soldats peu nombreux, qui administraient la vie de millions d’autochtones par un recours minime à la force et en se fiant à une « dissuasion » assurant un statut inférieur aux sujets placés sous leur autorité. Israël a perfectionné la méthode coloniale : au lieu que les forces d’occupation gèrent la vie des autochtones au niveau de l’existence quotidienne, dans leurs villes et leurs villages, elles imposent aux autochtones un contrôle indirect par enfermement dans des enclaves clôturées et en interférant avec la routine de leur vie. Le maître ne pénètre pas dans leur domaine, mais les autochtones sont obligés de l’implorer dans les temples de l’occupation - les barrages - et tant qu’ils se plient aux règles qui leur sont dictées, l’occupant sait que sa position est solide.
Les barrages servent de moyen géostratégique de premier ordre : institutionnalisant l’expropriation de l’espace physique et de l’infrastructure publique de Cisjordanie et leur cession à l’usage exclusif des Israéliens La carte des centaines de barrages installés à l’intérieur des centres de population palestiniens dessine le partage physique de la Cisjordanie en territoires qui ont été annexés de fait - l’ouest de la clôture de séparation et la vallée du Jourdain coupée de ce qui l’entoure - et en dix enclaves palestiniennes, de Jénine au nord jusqu’au sud du mont Hébron.
Les monceaux de terre et les blocs de béton placés sans ordre apparent constituent en réalité tout un système géostratégique, et l’enlèvement de quelques tas de terre ou de fermetures de routes pourrait altérer un dispositif planifié avec tellement de méticulosité. Ceux qui croient que l’idéologie du Grand Israël a disparu, évanouie, feraient bien de comprendre que les barrages sont le symbole de l’expropriation des territoires de la Cisjordanie, sans annexion, en sus de la création de « réserves » palestiniennes.
La division géographique crée une réalité sociale et politique qui entraîne l’éclatement de la communauté palestinienne en sous-communautés faibles et pauvres, où ce qui domine c’est la coupure entre le centre et la périphérie, la dégénérescence des centres urbains et l’appauvrissement de l’espace villageois, la séparation des familles, l’empêchement mis aux soins médicaux et aux centres d’enseignement - le tout avec l’espoir que ce blocus politique et social conduira à des problèmes démographiques et peut-être à un émigration.
Les planificateurs du régime des barrages ont voué d’importants efforts à l’élaboration du système et à sa mise en œuvre, mais ils semblent avoir mal évalué l’efficacité de leur méthode. La société palestinienne montre une cohésion et une capacité d’adaptation aux conditions de vie pénibles, impitoyables, qui lui sont imposées, et on ne voit pas de signes que les objectifs stratégiques programmés auraient été atteints. Les concepteurs des barrages ont dès lors l’impression qu’il leur faut en augmenter le nombre chaque année. Il y en a déjà 522, soit un barrage pour 3.500 Palestiniens.
Celui qui aspire sérieusement à ce qu’il soit mis un terme à cette marche folle - dont même la maigre utilité au plan sécuritaire est mise en doute et dont le préjudice est clair pour tout le monde - celui-là est tenu d’ordonner le démantèlement de tous les barrages qui ne sont pas situés à la frontière d’Israël souverain, et de ne pas se soumettre au maquignonnage que les officiers de l’armée tentent d’imposer.

Meron Benvenisti - Ha’aretz

[Meron Benvenisti a été maire adjoint de Jérusalem de 1971 à 1978.]
http://www.haaretz.co.il/hasite/spages/806538.htm
http://www.info-palestine.net/article.php3?id_article=412
[Traduit de l’hébreu par Michel Ghys]




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3-3 Point de vue de Virginia Tilley : Qu’allez-vous faire maintenant, Israël ?
Maintenant que trois petits garçons ont été tués par les balles d’assassins et qu’un juge du Hamas a été tiré hors de sa voiture et assassiné, peut-être êtes-vous satisfaits. Les Palestiniens ont finalement succombé suite à vos complots, pensez-vous. Le bocal préparé depuis longtemps a finalement été bouché, avec à l’intérieur, des « cafards ivres » qui ne peuvent que se traîner tout autour, se tirant les uns sur les autres.

Peut-être que vous êtes bien calés dans vos fauteuils, vous frottant les mains, tous, devant votre triomphe, regardant les Palestiniens s’exciter les uns contre les autres, devenir doucement ce que vous avez toujours prétendu qu’ils étaient. Peut-être êtes-vous dégoûtés, sûrs de votre supériorité.

Mais avez-vous pensé à ce que vous allez faire si la direction palestinienne que vous méprisez se désintègre finalement ?

Vous les avez amenés à cette situation, naturellement. Vous travaillez depuis des décennies pour en arriver exactement là. Vous avez soudoyé, terrorisé, expulsé, estropié ou tué les gens de leur direction, interdit ou tué leurs visionnaires et leurs philosophes, soutenu et financé le Hamas contre le Fatah, ou le Fatah contre le Hamas, entravé leur démocratie, volé leur argent, vous les avez emmurés, mis « au régime », vous avez ridiculisé leurs revendications et menti au monde à propos de leur histoire et de la vôtre.

Mais qu’allez-vous faire, Israël, si 5 millions de Palestiniens vivent en fin de compte sans direction, mais sous votre souveraineté ? Qu’allez-vous faire quand ils n’auront plus les moyens de négocier avec vous ? Avez-vous pensé que, dans un territoire que vous contrôlez, ils sont aussi nombreux que vous ? Et que maintenant, vous êtes en train de détruire leur voix nationale ? Avez-vous pensé à ce qui vous arrivera s’ils perdent vraiment cette voix ?

Peut-être croyez-vous réellement que, en le pourvoyant lui seul en argent et en armes, le Fatah retrouvera sa domination sur le Hamas et restaurera le gouvernement de marionnettes craintives de vos rêves. Peut-être croyez-vous en fait que le Fatah sera capable de faire revivre l’épave d’Oslo, de la faire sortir des ruines des bureaux de l’Autorité palestinienne et de reprendre la place de direction de la nation palestinienne comme avant. Peut-être vous dites-vous qu’avec juste quelques échauffourées et assassinats entre factions, et un peu plus de famine, le peuple palestinien tout entier va se retourner contre le Hamas et le virera du pouvoir en faveur de ce souriant Mr Abbas.

Mais pourquoi croyez-vous tout ça, quand le seul autre cas d’espèce, l’Iraq, n’est que ruines et que les USA et le Royaume-Uni essaient désespérément de le fuir ? Vivez-vous toujours si profondément dans vos propres fantasmes pour croire que la résistance palestinienne serait juste une réaction face à une direction stupide ou entêtée ? Qu’aucune mémoire collective des expulsions et des dépossessions armant l’esprit d’une résistance collective ne surpasserait, inévitablement, cette direction ? Croyez-vous vraiment que, si vous pouviez écraser ou contrôler le Hamas et le Fatah, 5 millions de personnes disparaîtraient simplement de votre monde - poussées vers les frontières de Jordanie ou d’Egypte, dans le désert sans fin, en essayant de sauver leurs affaires, leurs gosses et leurs souvenirs ternis, une reprise à plus grande échelle de 1948 en quelque sorte ?

Pensez-vous en fait que si la communauté internationale vous permet finalement de ne pas négocier avec le peuple que vous avez dépossédé et discrédité, vous pourrez aller libres, que vos crimes contre eux seront oubliés ? Nous savons que vous poursuivez toujours ce vieux, ce mortel et vain fantasme : arriver à sauver le rêve sioniste en anéantissant le nationalisme palestinien. Briser l’unité nationale palestinienne sur les récifs de l’occupation. Amener les Palestiniens à la situation que connaissent les Indiens dans leurs réserves, se dégénérant par le désespoir, l’alcoolisme et l’émigration. Les écarter de tout rapport avec vous.

Mais voici des infos vous, Israël. Les Américains d’origine n’ont toujours pas renoncé à ce jour. Pénalisés et réduits comme ils le sont, ils connaissent leur histoire et se souviennent de leurs exigences. Ils sont marginalisés seulement parce qu’ils représentent 1 % de la population américaine. Les Palestiniens, eux, sont forts de 5 millions d’individus, le même nombre que vous. Et ils vivent dans vos frontières. Quand leurs dirigeants s’effondreront, se cognant les uns contre les autres comme des béliers dans une lutte à mort, 5 millions de paires d’yeux se tourneront vers vous, Israël, car vous serez la seule autorité qui restera au-dessus d’eux. Et vous serez sans défense, car votre abri en papier, vos collaborateurs du Fatah ou de l’Autorité palestinienne, ne seront plus que marchandises avariées, vases fêlés, discrédités, finis. Et il n’y aura plus que vous et ceux que vous avez privés de leur vote ; vous et les Palestiniens, dans un seul Etat, sans Oslo ni la Feuille de route pour vous protéger. Et d’ici là, ils vous haïront vraiment.

Alors peut-être comprendrez-vous ce que vous avez fait, quand la désintégration de l’unité nationale palestinienne vous submergera comme un tsunami à travers le Moyen-Orient qui rejoindra le tsunami qui se déverse depuis l’Iraq pour recouvrir la région, une région que vous aurez perdue et qui se retournera contre vous.
En vous regardant préparer votre propre catastrophe, nous pensons que vous êtes simplement suicidaires. Nous pourrions juste vous regarder faire, mais la route vers votre ruine signifie tant de souffrances et pour tant de peuples ! Alors, pour éviter votre pacte suicidaire unilatéral avec les Palestiniens, vers qui allons-nous pouvoir nous tourner ?

Nous pourrions faire appel au Hamas enfin, pour mobiliser la base qui, seule, peut appliquer une désobéissance civile massive indispensable pour maîtriser le poing de fer d’Israël, mais le Hamas n’a pas l’expérience de cette méthode et maintenant, ses hommes d’Etat sont tenus sous les armes que avez fournies aux voyous du Fatah.
Nous pourrions faire appel au chef des voyous du Fatah, Mr Abbas, qui se traîne derrière la force d’Israël pour trouver un peu de nerf ; ou à l’omniprésent Mr Erekat qui n’a jamais eu de pensée politique de sa vie, pour qu’il en trouve une durant la nuit.

Nous pourrions faire appel aux voyous du Fatah pour qu’ils rejettent Mr Abbas et Mr Erekat - et les gros contrats sur le ciment que vous avez conclus avec eux pour construire le mur qui les emprisonne - et chercher alors la grand-route qu’ils n’ont jamais entrevue.

Nous pourrions faire appel au FPLP et au FDLP, microscopiques, s’accrochant à leurs vieux programmes trop rassis pour être mâchés et trop rongés par une amertume, âcre et vieille de plusieurs décennies, et leur rivalité avec le Fatah pour qu’ils émergent enfin de leurs complaintes, anciennes et nouvelles.

Nous pourrions faire appel aux USA, mais personne ne s’embêterait à faire ça.
Nous pourrions faire appel à l’Union européenne, mais personne ne s’embêterait à faire ça non plus.
Nous pourrions faire appel au monde, mais il se tient horrifié.
Nous pourrions faire appel aux médias dans le monde, mais ils sont complètement gelés (...)

Nous ne pouvons faire appel qu’à vous, Israël. Pour penser à ce que vous faites, si non pour vous inquiéter. Parce que vous oeuvrez à votre propre destruction.

Si vous avez été si efficaces dans ce grand projet national c’est que vous travaillez d’expérience. Même les gens les plus courageux, les plus sensibles et avec les plus grands principes, comme vous l’avez appris, ne peuvent résister indéfiniment dans un camp de concentration. Arrivée à un certain point, comme les historiens de l’Holocauste l’ont confirmé avec tant d’émotion, l’humanité se dégrade. L’héroïsme individuel peut survivre en tant que mémoires mais l’ordre, l’humanité et finalement le sentiment humain se dégradent dans des querelles factieuses, et l’homme devient inhumain pour l’homme. Vous avez trop bien appris, et amèrement, comment ce chaudron peut faire fondre le tissu même d’une société et briser un peuple. La leçon est rongée, littéralement, dans votre mémoire nationale. Et vous apportez ces leçons pour en supporter le poids, tentant de purger la tragédie sioniste dans les ruines de Gaza. Si vous récoltez réellement le chaos que vous avez organisé pour les Palestiniens, vous constaterez qu’il n’y aura aucun responsable pour ces 5 millions de civils, aucun sauf vous.

Alors, que ferez-vous, Israël, avec ces 5 millions de personnes vivant sous vos lois, quand vous ne pourrez plus faire croire au monde que vous avez l’intention de négocier avec eux ? Que ferez-vous de ces gens que vous détestez, et qui finalement vous détesteront tout à fait, quand les perspectives de coexistence auront échoué ? Vous serez la seule puissance souveraine au-dessus d’eux. Vous ne pourrez ni les assimiler, ni les repousser à l’extérieur. Et ils vous regarderont fixement. Et nous vous regarderons fixement, nous aussi.

Parce qu’il n’y aura plus personne à accuser, et personne pour s’occuper d’eux, sauf vous.
Virginia Tilley,

Johannesbourg. 15 décembre 2006

[Virginia Tilley est professeur de sciences politiques, citoyenne américaine travaillant en Afrique du Sud et auteur de ”The One-State Solution: A Breakthrough for Peace in the Israeli-Palestinian Deadlock" (La solution un Etat : une percée pour la paix dans l’impasse israélo-palestinienne). (Presse de l’université du Michigan et presse de l’université de Manchester - 2005).

On peut la contacter à l’adresse : tilley@hws.edu]
CounterPunch http://www.counterpunch.com/tilley12152006.html
http://www.protection-palestine.org/impression4212.html
[Traduction : JPP]



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3- 4 Point de vue de Assad Ghanem : De quoi vous êtes-vous alarmés ?
[La publication à la mi-décembre du document « Vision de l’avenir des Palestiniens Arabes d’Israël », résultat d’un travail unitaire de toutes les composantes de la société palestinienne d’Israël, a fait l’effet d’une bombe. Pour la plupart des Juifs israéliens juifs, les citoyens Palestiniens sont un ennemi de l’intérieur ou une bombe (démographique) à retardement. Assad Ghanem qui a participé à l’élaboration du document explique dans un des principaux quotidiens Israéliens qu’il s’agit d’instaurer « ’un Etat israélien normal, qui nous appartiennent exactement comme il vous appartient ». En somme, qu’il s’agit de proposer une démocratie non ethnique JPB]
La semaine dernière, les Palestiniens citoyens d’Israël ont fait la une des journaux par la grâce d’un document fondamental rédigé par un groupe d’intellectuels et de militants arabes. Une quarantaine de militants, dépassant leurs désaccords, ont participé à la préparation du document et formulé la « Vision future des Arabes palestiniens en Israël ». C’est le premier document collectif rédigé par des personnalités de tout l’éventail politique des Palestiniens en Israël : des membres des partis Hadash, Balad, du mouvement islamique, des villageois et des adhérents aux partis sionistes. Ce document exprime, au plus près de la réalité, les revendications des Palestiniens en Israël.

Côté juif, une partie des réactions ont été de colère. Certaines personnalités sont allées jusqu’à présenter le document comme un élément du processus de détachement de la communauté palestinienne d’Israël d’avec l’Etat et sa majorité juive. Les faiseurs d’opinion, pour une partie d’entre eux, n’ont pas considéré dans un esprit pragmatique les revendications avancées dans le document. Il semble bien qu’au moins certains n’ont pas pris la peine de lire le document et se sont nourris de titres lourds de menaces, lus dans la presse.

Qu’y avait-il dans le document ? Les Palestiniens en Israël et leurs dirigeants communautaires font connaître leurs revendications. Ils ne cachent rien et adressent une demande claire et objective de citoyenneté pleine, entière, et égale. Pour le dire simplement : ils prennent leur citoyenneté au sérieux. Le document présente une revendication d’intégration, d’égalité et de loyauté dans le cadre israélien et non en dehors de celui-ci. Il n’y a pas ici de demande d’abrogation de l’existence d’Israël ni de demande de règlement autre que celui admis aujourd’hui par la majorité des Juifs et des Arabes : deux Etats, Israël et Palestine. Nous avons des revendications à adresser à l’Etat, parallèlement au fait que nous remplissons toutes les obligations qu’il nous a été demandé de remplir.

Les Palestiniens en Israël ont mis en avant, dans ce document, un ensemble raisonnable et reconnu de revendications des groupes minoritaires, selon les normes internationales. Ce sont des « exigences minimales » de minorités autochtones. Le groupe minoritaire, qui est le groupe autochtone, revendique l’égalité sur sa terre, dans sa patrie. Il ne demande pas qu’on déménage la majorité immigrée, mais revendique un traitement équitable de la part de l’Etat.

Revendiquer que l’Etat se « reconnaisse comme patrie commune de ses citoyens arabes palestiniens et juifs », est-ce là une revendication extrémiste ? Ou n’est-ce pas précisément le fait d’exiger des Arabes qu’ils renoncent à cela qui est extrémiste ? Revendiquer qu’il soit mis fin aux mesures adoptées par l’Etat et portant atteinte à la communauté arabe, et que soit instauré un arrangement qui assure à la communauté arabe un droit de veto sur des mesures qui lui portent atteinte, est-ce, là encore, une revendication extrémiste ? Ou bien est extrémiste le fait, justement, d’attendre des Arabes qu’ils y renoncent ? Revendiquer l’instauration d’un régime de « démocratie régulée » qui assurera une intégration proportionnelle et égalitaire de la communauté arabe dans toutes les institutions de l’Etat, est-ce là une revendication séparatiste ? Ou n’est-ce pas précisément ce qui caractérise la situation existante avec l’exclusion délibérée des citoyens palestiniens par les institutions de l’Etat ?

Qui a décrété qu’un Etat juif s’accompagnerait de mesures d’oppression, d’expropriation, de lois de citoyenneté racistes et d’une politique de discrimination tous azimuts ? Etait-ce des citoyens palestiniens de l’Etat ou des institutions juives de l’Etat ? Et si c’est cela l’Etat juif, alors nous nous opposons à l’Etat en tant qu’il est juif, mais le jour où Israël sera juif à la manière dont la Grande-Bretagne ou la Suède est chrétienne, nous pourrons revoir notre position. Aujourd’hui, il ne nous reste aucune ouverture, sauf à nous opposer au caractère juif d’Israël.

L’essentiel du document est consacré à une action interne à la société palestinienne en Israël. La source de la faiblesse des Palestiniens citoyens d’Israël est interne. Il importe d’examiner les maladies sociales internes et d’essayer d’y porter remède pour qu’elle devienne une société plus saine, qui puisse organiser un système régulier d’action politique, sociale et culturelle. Et cela, afin d’amener l’instauration d’un Etat israélien normal, qui nous appartiennent exactement comme il vous appartient.



Assad Ghanem,
Haaretz, 19 décembre 2006

Assad Ghanem dirige le département ‘Gouvernement et pensée politique’ de l’Université de Haïfa et il est membre de l’équipe qui a préparé le document « Vision future des Arabes palestiniens en Israël ».
www.haaretz.co.il/hasite/spages/802692.html





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3-5 Point de vue de Tariq Ramadan : Palestine, Israël et la conscience planétaire.
Il devient de plus en plus clair que le conflit israélo-palestinien est central pour la paix dans le monde et pour promouvoir une meilleure entente entre les sociétés musulmanes et l’Occident. Même le premier ministre britannique Tony Blair l’a relevé récemment sur al-Jazeera alors même qu’il s’exprimait sur la détérioration de la situation en Irak. Or, nous sommes aujourd’hui au bord de la guerre civile et l’annonce d’élections anticipées par la Président Mahmoud Abbas a provoqué une flambée de violence avec le refus catégorique des élus du Hamas et d’une partie de la population d’accepter cette solution. La situation est catastrophique et la paix est très éloignée.

On aurait pu espérer qu’avec la disparition de la scène politique de Sharon et d’Arafat, qui se connaissaient autant qu’ils se détestaient profondément, qu’une nouvelle page pourrait peut-être s’ouvrir et un processus de paix se mettre en marche. Ce ne fut pas le cas et les choses ont empiré. Ehud Olmert et Kadima n’ont pas changé d’un iota leur politique vis-à-vis de celle de Sharon et tout s’est passé comme s’il s’agissait de gagner du temps. Du côté palestinien, Mahmud Abbas, qui était l’interlocuteur attendu et voulu par Israël n’a rien obtenu pendant de longs mois et l’arrivée au pouvoir de Hamas l’a isolé puis isolé l’ensemble du peuple palestinien sur la scène internationale. La crise libanaise, la guerre puis les images des morts innocents du Sud Liban ont marqué une nouvelle fracture entre les peuples et les gouvernants et non seulement dans le monde arabe mais également en Occident où le silence des gouvernements n’a pas été compris. Pendant ce temps, à Gaza, la terreur continuait de régner les bavures se sont multipliés avec la mort de familles, de femmes et d’enfants. Il n’y a plus de processus de paix, plus rien n’avance dans la région et les Palestiniens asphyxiés sont au bord de l’implosion.

Il est l’heure de faire une évaluation critique de la situation. Le problème israélo-palestinien ne sera jamais la seule affaire deux peuples, de deux gouvernements. Nous sommes en face d’un conflit universel qui dans les perceptions comme dans les faits réunis toutes les dimensions du « clash des civilisations ». Dans la psyché global, Israël représente tout à la fois l’Occident, la culture judéo-chrétienne, le progrès et la démocratie alors que les Palestiniens représente l’Orient, la civilisation musulmane, la tradition et l’ordre autocratique et souvent corrompu. On peut faire semblant de ne pas prendre la mesure de ce conflit mais c’est bien de cela qu’il s’agit aujourd’hui et le fait qu’aucune solution ne soit visible à l’horizon est une annonce de futures conflits et de guerres, non une promesse de paix.

Il faut cesser d’entretenir de faux espoirs : quels que soient les dirigeants israéliens (du Likoud, de la gauche ou des religieux) ou palestiniens, (Mahmud Abbas, le Fatah ou le Hamas), la paix sera impossible si on laisse ces deux entités face à face. Avec l’ancienne autant qu’avec la nouvelle génération. L’histoire est trop chargée et les forces tout à fait inégales. On aimerait espérer que les Etats-Unis prennent urgemment conscience de leur rôle et comprennent enfin que leur soutien unilatéral, quasi aveugle, aux gouvernements successifs israéliens est une folie suicidaire qui, à terme, desservira clairement les intérêts de tous et notamment d’Israël dans la région. Le gouvernement américain s’est trompé en Iraq et continue à se méprendre profondément au cœur du conflit israélo-palestinien. Les présents conseillers et acteurs de l’administration Bush sont aveuglés par leur alliance avec Israël, et sauf à un changement total de cap, ils continueront à perdre tout crédit aux yeux des populations musulmanes. La grande puissance américaine ne pourra plus intervenir que par la force si elle continue à brûler toutes les cartes de sa diplomatie.

C’est peut-être du côté de l’Europe qu’il faut espérer un réalignement dans le conflit. La prise de conscience de la déroute en Iraq, la réaction des populations européennes aux massacres au Liban et enfin la détérioration de la situation à l’intérieur des territoires occupés va nécessairement avoir des conséquences sur les politiques des Etats européens. Sera-t-il possible à ces derniers de proposer autre chose, voire de forcer le gouvernement américain à revoir sa copie au Moyen-Orient ? C’est ce que personne ne peut déterminer pour l’heure mais il est clair que le rapport Baker parlant de l’Iran et de la Syrie comme élément de la solution est un potentiel repositionnement américain qui a été entendu et compris en Europe. Il est urgent que les pays européens interviennent dans le débat et proposent autre chose qu’un soutien mou aux « modérés » de la région qui n’ont aucune carte en main et qui ne pourront de toute façon rien faire sans leur engagement déterminé.

Il n’y aura pas de solutions au Moyen-Orient sans engagement plus conséquent de la communauté internationale et particulièrement de l’Europe. Ni les nouveaux leaders directement impliqués, ni les Etats arabes ne pourront faire avancer le processus de paix. Revenir aux accords internationaux et les faire respecter, libérer les territoires occupés de toute présence israélienne et faire cesser la construction du mur jugée illégal par les instances internationales avec l’impérative contrepartie de la cessation, du côté palestinien, des attentats et les attaques contre les villes et les civils, voilà le cadre auquel il faut revenir au plus vite. Il appartient à la communauté internationale de comprendre qu’elle est un acteur incontournable que ses représentants doivent prendre langue avec toutes les parties avec une vision claire et équilibrée. Elle parviendra à ses fins si, et seulement si, elle propose une démarche équilibrée et raisonnable. Dans le cas contraire ses interventions comme ses silences sont contreproductifs. Tous les mouvements de résistance - quels qu’ils soient du Fatah, du Hezbollah, du Hamas voire des produits de la rhétorique d’al-Qaïda - gagneront en force et en légitimité sur le terrain dans le vide laissé par les instances internationales et le silence apparenté à une carte blanche offerte à la superpuissance régionale qu’est en fait Israël.
Que l’on parle de soutien financier, de commerce d’armes, de la possession de l’arme nucléaire et des exigences de paix, tout se passe comme si Israël obtenait des passe-droits que les Etats arabes, perses ou palestiniens n’acquerront jamais. Les Palestiniens ne sont point dupes et ils n’écouteront pas les voix qui voudraient leur faire croire que la solution devra se trouver au gré de discussions directes avec l’ennemi du jour. Ils savent ce qui se passent derrière la scène et si les Européens et les Américains continuent à tromper et à se tromper de derrière ladite scène, il y a fort à parier qu’il n’y aura pas de paix au Proche-Orient, autrement dit pas de paix dans le monde. Ces cinq dernières années nous ont appris que, bon gré mal gré, tout est connecté : notre silence complice face à la souffrance au Moyen-Orient nous apportera par voie de conséquence directe l’insécurité dans notre quotidien. Notre silence est l’allié objectif de leur violence autant que leurs morts accompagnent nos nouvelles peurs quant à notre sécurité. Dans l’aventure chacun de nous y perd quelque chose : au pire la vie, au minimum la liberté.
Tariq Ramadan
Sources Tariq Ramadan
Posté par Adriana Evangelizt




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3-6 Point de vue de Georges Lattier : Palestine : les responsabilités des dirigeants israéliens et occidentaux.
Après que Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, eut annoncé samedi 16 décembre la tenue d’élections présidentielles et législatives anticipées, des affrontements armés entre factions rivales du Fatah et du Hamas ont eu lieu à Gaza, faisant trois morts et plus de vingt blessés pour la seule journée du dimanche 17 décembre. Le Hamas, aujourd’hui majoritaire au Parlement refuse de nouvelles élections et juge qu’Abbas cède aux injonctions israéliennes.

Sont-ce là des signes avant-coureur d’un conflit pour l’heure sporadique mais qui pourrait déboucher sur une véritable guerre civile ? Toujours est-il que les tensions sont vives entre les courants politiques palestiniens cherchant le soutien des puissances occidentales et ceux se déclarant, du moins en paroles, plus radicalement opposés à Israël d’une part, et à la politique que ces dernières mènent au Proche et Moyen-Orient d’autre part.

Cette situation n’est d’ailleurs pas propre aux Territoires occupés de Palestine. On la retrouve au Liban et même de façon plus particulière en Irak.

En demandant des élections anticipées, au motif qu’elles pourraient permettre une sortie de crise, Abbas a reçu le soutien public des leaders occidentaux, y compris ceux d’Israël, dont le porte- parole a déclaré que le gouvernement israélien « soutient les Palestiniens modérés qui tentent de parvenir à des négociations avec Israël sans recourir à la violence. Abou Mazen (Mahmoud Abbas) est un dirigeant de ce type. »

Mais que pourraient bien apporter des élections anticipées ? Les dernières qui ont eu lieu au début de l’année 2006, c’est-à-dire il y a moins d’un an, s’étaient déroulées de façon démocratique aux dires des envoyés de l’ONU qui les supervisaient. Seulement, c’est le Hamas qui en était sorti victorieux et cela avait fortement déplu, tant à Israël qu’aux États-Unis et aux dirigeants occidentaux en général. Ceux-ci avaient alors rompu avec le tout nouveau gouvernement palestinien et tari les quelques aides financières versées jusque-là. Avec la délicatesse et le tact qui le caractérisent, le gouvernement israélien a, pour sa part, purement et simplement volé le montant des taxes et autres recettes de TVA devant revenir aux Palestiniens. Des commandos de son armée ont même pénétré dans des banques de Cisjordanie pour s’emparer des avoirs déposés, au prétexte qu’ils pouvaient servir à fomenter des actes terroristes.

Alors, si après de nouvelles élections le Hamas l’emportait, ce qui est tout de même une réelle possibilité, qu’y aurait-il de changé ? Les Israéliens et les Occidentaux reconnaîtraient-ils le gouvernement qui en serait issu ? Sûrement pas. La démocratie, ils ne la respectent que quand cela les arrange.

Et si c’était le courant représenté par Abbas qui l’emportait, la situation des Palestiniens connaîtrait-elle une embellie ? Ce n’est même pas sûr. Les sanctions financières, et en particulier celles imposées par l’Europe, seraient peut-être allégées et les aides pourraient redevenir plus importantes. Mais du côté israélien, il est probable que rien ne serait modifié. La colonisation continuerait de s’étendre et surtout, Israël maintiendrait sa politique d’étouffement économique en limitant les déplacements des Palestiniens, en fermant les points de passage de la bande de Gaza, en imposant des centaines de barrages et des fermetures de routes à l’intérieur même de la Cisjordanie.

Dans les Territoires palestiniens la situation est aujourd’hui catastrophique. Plus d’un million de Palestiniens vivent dans un état de « pauvreté profonde », comme l’indique un rapport de l’ONU. Et cela n’est pas dû au gouvernement qu’ils se sont choisi mais à une politique délibérée de spoliation menée par Israël depuis des décennies ; politique menée avec la complicité des puissances impérialistes, dont les dirigeants versent de temps à autre une larme sur le sort des populations sans rien faire pour y remédier.
Georges Lattier
20 décembre 2006 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.lutte-ouvriere-journal.o...

Sources CCIPPP

Posté par Adriana Evangelizt





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3-7 Point de vue de Pierre Stambul : Une religion érigée en idéologie d’occupation sur la base d’un mensonge.
La guerre qui se déroule depuis plus de 60 ans entre Israël et la Palestine est devenue centrale. La plupart des guerres et des bouleversements de la région sont liés à la question palestinienne. Les problèmes fondamentaux du droit des peuples, de l’égalité, du colonialisme, du droit international ou de l’impunité de régimes qui commettent des crimes de guerre sont posés par ce conflit.

Une destruction méthodique et préméditée
Un peu d’histoire pour comprendre cette guerre :
l’immigration continue de Juifs venus principalement d’Europe à partir du début du XXe siècle a progressivement marginalisé le peuple palestinien en le dépossédant de sa propre terre. La volonté des institutions juives de créer un Etat Juif où les Non-Juifs seraient, soit expulsés, soit réduits à une condition de citoyens de seconde zone a abouti à la guerre de 1948-49. Cette guerre que les Israéliens appellent guerre d’indépendance et que les Palestiniens appellent la Naqba (la catastrophe) a abouti à l’expulsion programmée de 800.000 Palestiniens (les 3/4 de la population) de leur pays. L’Occident et les institutions internationales ont favorisé ou laissé faire cette « purification ethnique ». C’était une façon facile de se laver de leur responsabilité collective dans l’antisémitisme européen et le génocide Nazi. Sauf que le peuple palestinien n’avait pas la moindre responsabilité dans ces crimes.

C’est une idéologie au départ très minoritaire parmi les Juifs, le Sionisme, qui a créé l’Etat d’Israël. Dès le départ, cette idéologie manifeste un caractère ultra-nationaliste en niant totalement les droits et même l’existence du peuple autochtone. En accaparant les terres (toutes les terres des Palestiniens expulsés sont confisquées dès 1950) et en en convoitant sans cesse de nouvelles, le projet sioniste est un projet colonial. Les Israéliens auraient souhaité réussir ce que les Nord-Américains ont réussi avec les Amérindiens ou les Australiens avec les Aborigènes : marginaliser les Palestiniens à un point tel qu’ils ne soient plus capables de revendiquer quoi que ce soit. Pendant très longtemps en Israël, on parlait « des Arabes », les Palestiniens n’avaient pas d’existence. Le Sionisme n’est pas une idéologie religieuse, mais c’est dans une lecture partiale de « la Bible » qu’il va trouver la justification de son projet fou de « regrouper tous les Juifs du monde dans un seul Etat ». Dès les années 50, l’immigration massive des Juifs du monde arabe est organisée. Israël devient un pays hyper militarisé et un avant-poste de l’impérialisme américain au Moyen-Orient.

La fin du XXe siècle est une succession de guerres de conquêtes. En 1967, les Israéliens occupent les 22% de la Palestine qui leur avaient échappé 20 ans auparavant.

Aussitôt, la colonisation commence. Les colons qui sont souvent des intégristes religieux, mais parfois aussi des banlieusards attirés par des logements à bas prix accaparent les meilleures terres et l’eau de la région. Les Palestiniens s’accrochent à leur terre. La première Intifada révèle au monde entier un peuple qui combat à main nue une des armées les plus puissantes. Depuis 1967, 650000 Palestiniens ont connu la prison. Certains y sont depuis plus de 30 ans. Il y a 11.000 prisonniers aujourd’hui.

Expulsée de Jordanie puis du Liban, la direction palestinienne résiste. L’OLP reconnaît en 1988 Israël dans ses frontières de 1949. C’est une concession énorme. Les Palestiniens renoncent à 78% de la Palestine historique. Ce processus aboutit aux accords d’Oslo (1993). Pourquoi ce processus a-t-il échoué ? Parce que jamais les Israéliens n’ont songé à évacuer les colonies (50.000 nouveaux colons s’installent entre Oslo et l’assassinat de Rabin). Parce que jamais les Israéliens n’ont accepté la moindre égalité des droits entre eux et les Palestiniens. Parce que 25% de la société israélienne est gangrenée par des idées intégristes voire fascistes (aujourd’hui Avigdor Liebermann est ministre). Parce que les gouvernements israéliens n’imaginent comme Etat palestinien qu’une espèce de bantoustan formé de cantons isolés, privés de terre, d’eau, de ressources naturelles et d’unité.

Depuis la deuxième Intifada, une destruction systématique de la société palestinienne est à l’œuvre. Un mur balafre la Cisjordanie, coupant les villages, détruisant les terres agricoles , isolant des zones promises à l’annexion. La construction du Mur a été condamnée par la Cour de La Haye, mais le gouvernement israélien se moque du droit international et procède par fait accompli. 750 check points rendent la vie des habitants impossible, empêchant la population de se déplacer, d’étudier, de se soigner. Les exécutions extra judiciaires se multiplient. La bande de Gaza est devenu un véritable « laboratoire ». La population y est enfermée, affamée, soumise à des attaques incessantes (plus de 400 assassinats ces six derniers mois). Privé de toute perspective de vie normale, le peuple palestinien a exprimé son refus en votant pour le Hamas. L’Europe a répliqué en coupant les vivres. C’est l’agressé qui est sanctionné, l’agresseur ne l’a jamais été. Même impunité lors de l’attaque contre le Liban cet été. 34 jours de guerre et 1.400 morts principalement civils. Le Sud-Liban a été détruit et de nombreux crimes de guerre commis. Il y a un consensus tragique en Israël pour dire que Hamas ou Hezbollah = terrorisme et pour trouver « moral » de tuer 20 civils pour abattre un « terroriste ».

La question du Sionisme
Cette idéologie apparaît en Europe à la fin du XIXe siècle. Alors que la plupart des Juifs résistent à la montée de l’antisémitisme et s’engagent massivement dans des mouvements progressistes ou révolutionnaires (souvent en abandonnant la religion), les Sionistes s’inscrivent totalement à contre courant de cette évolution. Ils n’ont aucune pensée universaliste, ils s’inscrivent dans le cadre de la montée des nationalismes européens avec l’idée simpliste : un peuple = un état. Pour eux l’antisémitisme est inéluctable. La citoyenneté ou l’égalité des droits sont des leurres. Ils sont contre toute forme de mélange, d’intégration ou d’assimilation. Ils pensent que les Juifs ne peuvent vivre qu’entre eux. Le Sionisme repose sur un mensonge fondateur : pour eux la Palestine serait une « terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Les premiers colons s’emparent de la terre comme les colonialistes européens l’avaient fait dans leurs colonies. Au moment la guerre de 48, les Israéliens nieront toute responsabilité dans le départ des Palestiniens.
Le Sionisme vise quelque part à clore l’histoire juive. La diaspora est présentée comme une parenthèse alors qu’elle est l’essence même du judaïsme. Le nouvel Etat d’Israël est présenté comme le centre de toute vie juive. Un Juif est sommé d’émigrer en Israël ou à défaut, de soutenir inconditionnellement la politique de cet état. Sinon, il devient un traître ayant « la haine de soi ». La quasi-totalité des institutions juives laïques ou religieuses deviennent des officines de propagande pour l’Etat israélien. Cet Etat s’est construit en contradiction avec les valeurs du monde Juif : universalisme, cosmopolitisme, pluralisme. Les langues et les traditions des Juifs Arabes, des Séfarades, des Ashkénazes ont quasiment disparu au profit d’un modèle unique. Cette volonté d’éradiquer le passé pour construire un « homme juif nouveau » aboutit à une société malade, imbue de sa supériorité militaire et incapable d’accepter « l’autre » (le Palestinien) comme son égal.


Sans le génocide Nazi, Israël n’aurait pas existé. Pourtant le Sionisme n’a joué qu’un rôle marginal dans la résistance juive au nazisme. À partir des années 60, une instrumentalisation systématique du génocide et de l’antisémitisme est organisée. Chaque acte antisémite, réel ou supposé, est utilisé pour persuader les Juifs de venir s’installer en Israël. Le complexe de Massada est développé. Il s’agit de persuader les Juifs que tout le monde les hait, qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes et que toute critique d’Israël est fondamentalement antisémite. La propagande martèle « qu’Israël n’a pas de partenaire pour la paix » et « qu’Arafat est un nouvel Hitler ». Cet enfermement mental provoque une véritable fuite en avant, criminelle pour les Palestiniens mais suicidaire aussi pour les Israéliens. Comment peuvent-ils croire s’imposer durablement par la violence dans la région ?


Des Juifs pour la Paix
En Israël, une petite minorité que nous appelons « les anticolonialistes » résiste au rouleau compresseur. Ils ne sont pas très nombreux. En 1982, ils avaient réussi à faire descendre des dizaines de milliers de manifestants contre la première guerre du Liban. Cette fois-ci, ils n’ont été au plus qu’une bonne dizaine de milliers quand l’armée israélienne pilonnait le Liban.


Qui sont-ils ?
Des refuzniks (1.400, ce n’est pas rien) qui préfèrent aller en prison plutôt que de servir dans les territoires occupés, des personnalités politiques comme Michel Warschawski, des universitaires comme Tanya Reinhart, des historiens « dissidents » comme Ilan Pappé, des journalistes comme Gideon Lévy ou Amira Hass. Il y a des groupes politiques : le Hadash (parti communiste qui est « binational »), le Bloc de la Paix d’Ury Avnery. Il y a les Femmes en Noir et d’autres associations qui vont sur les barrages pour témoigner. Il y a « les Anarchistes contre le Mur » qui manifestent régulièrement avec les Palestiniens. Certaines associations ont des tâches spécifiques comme l’association des familles endeuillées de Nurit Peled ou Zochrot qui recherche les traces des anciens villages palestiniens avant la Naqba. Tous ces groupes qui rencontrent régulièrement les Palestiniens représentent l’espoir d’un futur pacifique possible.

En France, l’Union Juive Française pour la Paix s’est développée à partir de la deuxième Intifada. Elle fait partie d’un réseau d’associations juives progressistes européennes dans 10 pays. Par notre présence dans les collectifs pour la Palestine, nous montrons que la guerre là-bas n’est ni religieuse, ni communautaire, ni raciale. Elle porte sur la question de l’égalité des droits et de la justice. Face au CRIF qui prétend parler au nom de tous les Juifs, nous disons « pas en notre nom ». Nous nous revendiquons d’une autre histoire juive, celle des militants anticolonialistes ou des résistants au nazisme. Et puis, nous sommes en première ligne pour empêcher une instrumentalisation du génocide. Oui l’antisémitisme est un crime (européen). Non, il ne justifie en rien l’injustice fondamentale faite aux Palestiniens. Cette injustice doit cesser, c’est le sens de notre engagement.

Pierre Stambul

Président de l’union juive pour la paix

Posté par Adriana Evangelizt



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3-8 Point de vue de Achraf Aboul-Hol : L’inexorable asphyxie.


Palestine . Autant que les attaques israéliennes ou les conflits politiques internes, le chômage, la pauvreté et la faim plongent la population dans un gouffre dont elle ne perçoit pas le fond.

Gaza,
De notre correspondant

Que se passera-t-il en 2007 ? Très pessimistes, les Palestiniens s’interrogent. En effet, les circonstances actuelles dans les territoires occupés ne cessent de s’aggraver : blocus étranger, agression israélienne continue, chaos sécuritaire et conflit de pouvoir. Aujourd’hui, la priorité du citoyen palestinien est son gagne-pain. Dans les régions de l’autorité nationale, la situation économique est aussi détériorée que la situation sécuritaire et politique. Cependant, les victimes du recul économique sont beaucoup plus nombreuses que celles de l’agression armée.

Le Dr Georges Al-Abd, gouverneur de l’autorité monétaire en Palestine, signale que la situation est de plus en plus alarmante à cause des pratiques israéliennes. « Des restrictions sont imposées aux produits et exportations palestiniens, sans oublier le blocus international », déclare-t-il. Il précise également que les activités publiques et privées sont paralysées, ce qui a contribué au recul du PNB palestinien de 28 % fin 2006, à 2,9 USD pour l’année 2006 contre 4,04 USD en 2005.

Pour ce qui est de la situation financière de l’Autorité palestinienne, Al-Abd assure que le gouvernement passe par une phase difficile puisqu’il ne reçoit plus aucune aide extérieure et n’a pas reçu les sommes de la perception de taxes par les Israéliens, évaluée à 2 milliards de shekels (460 millions de USD). Alors le gouvernement ne peut plus assumer ses responsabilités et n’a d’autre choix que de compter seulement sur les revenus locaux évalués à 25 millions de dollars par mois. Le ministre de l’Economie nationale, Alaeddine Al-Aârag, mentionne que le gouvernement palestinien a en revanche décidé d’entreprendre certaines procédures visant à alléger les effets néfastes du blocus économique et financier, comme en tête la baisse des dépenses de 75 % au cours du deuxième semestre de l’année 2006.

Al-Aarag regrette que le côté israélien ne reverse pas à l’Autorité palestinienne la part lui revenant des sommes perçues, ce qui influence directement la marche du processus économique. Surtout pour ce qui est des salaires des fonctionnaires de l’Autorité et toutes les activités relatives à l’investissement. Cette situation a causé des crises supplémentaires aux niveaux social et économique. Par exemple, le nombre de chèques impayés a augmenté et les taux d’emprunts bancaires ont beaucoup diminué. Chose menaçant autant le secteur privé que le secteur bancaire. Al-Aarag mentionne également que le taux de précarité dans les territoires occupés a atteint 66 %, et engendré des phénomènes graves comme la hausse du nombre d’enfants travailleurs et d’enfants qui ont quitté l’école. En plus des taux élevés de malnutrition.

D’autre part, l’Organisme central palestinien pour les statistiques a publié un rapport en novembre dernier affirmant que le nombre de chômeurs s’est élevé lors du troisième trimestre de 2006, représentant 30,3 % de la population active, contre 20,2 % lors du même trimestre de 2000. Selon le rapport, les taux de chômage les plus élevés sont enregistrés parmi les jeunes.

Récoltes avariées

Si le conflit autour du pouvoir entre le Hamas et le Fatah ainsi que le chaos sécuritaire ont joué un grand rôle dans la souffrance économique du peuple palestinien, les pratiques israéliennes de répression ont encore plus contribué à la détérioration de la situation économique. On peut même dire que c’est le facteur principal qui a déclenché le conflit politique entre la présidence et le gouvernement palestiniens. Car, en fait, les émeutes de part et d’autre brandissaient des slogans demandant « le déblocage économique ».

De fait, plus le conflit a gagné en intensité, plus les Israéliens augmentaient le blocus économique. Ainsi ne se sont-ils pas contentés d’empêcher le transfert de centaines de millions de dollars à l’Autorité palestinienne, contrairement aux stipulations des accords d’Oslo. Israël a aussi employé les points de passage comme carte de pression politique et commerciale contre l’Autorité palestinienne. Ainsi, l’Etat hébreux a-t-il fermé les points de passage vers la Cisjordanie et Gaza. De sorte que le transport des denrées agricoles soit interdit. Donc, une grande partie des récoltes a été avariée et les agriculteurs ont dû assumer des pertes énormes. Il en est de même pour les commerçants, puisqu’il a été aussi interdit de transporter les produits alimentaires et les prix ont connu des hausses exorbitantes.

C’est pourquoi Al-Aarag préconise la nécessité d’isoler les points de passage du conflit politique. Il met aussi en garde contre le danger de leur fermeture. Il explique que depuis le début de l’année 2006, le passage commercial Al-Montar (Karni) a été complètement fermé pendant presque la moitié des jours de travail officiels. Et pour le reste de l’année, le passage a fonctionné à moins de 10 % de sa capacité.

Selon Al-Aarag, l’activité dans les secteurs essentiels de l’économie nationale, c’est-à-dire l’agriculture, l’industrie, le commerce, le tourisme et les services, a connu un recul considérable. Le résultat est que l’action des capitaux et des affaires a sensiblement ralenti. Surtout que le côté israélien s’est donné le droit de décider seul des produits qui entrent sur le marché palestinien ou qui sont exportés, afin de répondre aux demandes et aux intérêts du secteur privé israélien.

Achraf Aboul-Hol




Source : Al-Ahram hebdo
http://hebdo.ahram.org.eg/...







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3-9 point de vue de Akiva Eldar : Quarante années d¹ambiguïté...

[l'ambiguïté des termes choisis en Israël pour désigner les problèmes
(territoires "administrés", occupés", "libérés", "Judée-Samarie", Gaza
"désengagée" (liste à laquelle on pourrait ajouter le "mur/barrière/clôture"
de "séparation/sécurité/annexion") reflète l'ambiguïté inhérente à toute la
politique israélienne concernant les Palestiniens depuis 40 ans. Au-delà :
le refus du choix stratégique, ou, si l'on veut être cynique, un choix
stratégique sans le dire]

L¹année 2007 marquera 40 ans d¹occupation de la Cisjordanie, ou 40 ans
depuis la libération de la Judée et de la Samarie. L¹an prochain, nous
célébrerons les 40 ans du Jour de Jérusalem, date de l¹annexion unilatérale
de Jérusalem Est, ou de la réunification de la capitale.

Il n¹y a pas accord sur les termes, ni entre nous, ni avec nos voisins ni
avec la communauté internationale. Mais ce qui compte, c¹est que nous
disposions déjà de la liste des célébrations anniversaires de l¹une des
créatures les plus ambiguës qu¹ait connues le monde depuis quelques
générations.

Il est possible de trouver un certain nombre d¹avantages à la politique
nucléaire israélienne de l¹ambiguïté. Et Henry Kissinger a fait carrière
avec son «ambiguïté constructive» comme méthode destinée à faire avancer ses
objectifs diplomatiques. Mais il est difficile de trouver phénomène plus
destructeur que l¹approche ambiguë de l¹establishment israélien concernant
les territoires «occupés/libérés/administrés.»

Peu après la guerre des Six jours, Ygal Allon, alors ministre du travail,
était interrogé à la Knesset sur la possibilité de remplacer sur les cartes
officielles les lignes de l¹armistice (ou «ligne Verte») par celles du
cessez-le-feu [d¹après la guerre de 67, donc, ndt]. Allon expliqua : «Bien
que ces lignes [de 67] ne constituent pas des frontières politiques
reconnues et agréées, du point de vue du droit international, et du point de
vue politique pragmatique, ces lignes du cessez-le-feu sont les seules
lignes de démarcation qui existent entre Israël et ses voisins.» Autrement
dit, le contrôle par Israël des territoires n¹est ni reconnu ni agréé, mais
voilà ce que nous avons, et ce que nous finirons par gagner.

Cette ambiguïté juridico-officielle a été bien aidée depuis novembre 1967
par la différence entre la version anglaise de la résolution [242] du
Conseil de sécurité des Nations Unies, qui appelait Israël à se retirer
"de territoires (from territories) occupés lors du récent conflit", et la
version française qui parlait de retrait "des territoires". Mais que faire
de la population palestinienne qui s'obstine à rester sur sa terre et menace
de "gâcher" l'équilibre démographique? Israël a trouvé une réponse toute
d'ambiguïté créative : l'application de la loi et de l'administration
israéliennes sur des zones choisies : Jérusalem et le Golan.

Dans les slogans, Jérusalem est une ville réunifiée. Mais en pratique, la
clôture de séparation coupe de la ville des milliers de Palestiniens qui
habitant pourtant à l'intérieur des limites municipales de Jérusalem. La
politique discriminatoire de certains ministères et de la municipalité
illustre l'ambiguïté qui existe entre l'"unification" de la ville et sa
judaïsation. Cette ambiguïté convient parfaitement aux Israéliens. Et qui se
soucie du fait qu'elle ne convient pas aux Palestiniens?

Idem concernant la bande de Gaza : Israël s'est désengagé de son territoire,
mais continue à le contrôler de l'extérieur. Alors qu'il n'y a pas de
gouvernement reconnu et souverain dans la bande de Gaza, l'ambiguïté réside
dans la question de savoir si Israël est complètement déchargé de sa
responsabilité vis-à-vis du sort des habitants de cette région misérable.

En Cisjordanie, dans ses parties non annexées, l'officier militaire est
souverain, et, d'après la quatrième convention de Genève, aucun citoyen
israélien ne devrait y être installé. Le terme ambigu de "territoires
administrés" a été inventé, le concept de "terre d'Etat" a été exhumé de la
législation ottomane, et à part cela, nous disons que "tout est ouvert à la
négociation". Tout, sauf les "blocs de colonies", bien sûr, dont les limites
(comment pourrait-il en être autrement?) sont à la fois ambigus et
inacceptables pour l'autre côté. Pour permettre l'expansion des colonies, en
dépit de nos promesses internationales, nous inventons le prétexte de devoir
répondre à leur "croissance naturelle" dont le volume est tout aussi ambigu.

Enfin, pour nous protéger des Palestiniens, pour qui l'occupation n'est pas
du tout ambiguë, nous inventons la politique ambiguë des assassinats, des
sièges et des tirs. Cette ambiguïté est en train d'avaler tout ce qu'il y a
de bon dans l'armée, la politique et toutes les branches des institutions.
Certaines des décisions judiciaires concernant l'occupation/libération de la
Cisjordanie / Judée et Samarie indiquent que la maladie de l'ambiguïté a
aussi touché la Haute cour de Justice.

Après une addiction aussi longue et aussi enthousiaste à la drogue de
l'ambiguïté, comment s'étonner si les dirigeants et l'opinion sont plongés
dans la perplexité devant des défis comme la résolution de la Ligue arabe de
mars 2002, fondée sur un principe clair : la terre en échange de la paix? Il
est tellement plus confortable d'avoir une Feuille de route sans lignes
claires et des célébrations d'"unification" aux slogans creux.

Akiva Eldar

http://www.haaretz.com/hasen/spages/807833.html

Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Ha¹aretz, 1er janvier 2007



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5 Annexes

Ndlr : PS : La publication des articles ou analyse ne signifie nullement que la rédaction partage les analyses ou point de vue des auteurs, mais doit être vu comme information

5-1 La BEI reprend sa coopération avec Israël après 11 ans de gel.

La Banque européenne d’investissement (BEI), notant un « rapprochement » entre Israël et l’Autorité palestinienne, a annoncé mercredi qu’elle allait reprendre sa coopération avec l’État hébreu, gelées depuis 11 ans.
Le vice-président de la BEI, Philippe de Fontaine Vive, signera au cours de la visite de trois jours, qu’il a entamée hier en Israël, deux prêts dans le domaine de l’environnement et de l’aide aux PME, a indiqué la BEI dans un communiqué.
Le premier prêt, de 200 millions d’euros, vise à soutenir le programme national israélien de protection et de gestion des eaux.
Le prêt de la BEI couvrira 50 % des investissements et devrait principalement profiter aux communautés arabophones et bédouines du nord d’Israël.
Le second prêt prendra la forme d’une ligne de crédit de 75 millions d’euros à la Banque Hapoalim pour le financement de PME israéliennes.
M. de Fontaine Vive espère également tirer profit de cette visite pour favoriser le « déblocage » de « projets d’envergure régionale », alors que la rencontre samedi entre le Premier ministre israélien Ehud Olmert et le président palestinien Mahmoud Abbas a fait baisser la tension.


Les discussions du numéro 2 de la BEI et des responsables israéliens porteront notamment sur la branche israélo-cisjordanienne du « Gazoduc de la paix » destiné à apporter du gaz égyptien à l’ensemble de la région et sur le renforcement des interconnexions électriques entre Israël et Gaza, a indiqué un responsable de la BEI, Henry Marty-Gauquié.


Le désenclavement de la Cisjordanie et de la Jordanie par le rail, le projet d’aéroport israélo-jordanien desservant Eilat et Aqaba et la question des ports et aéroports de Gaza seront également à l’ordre du jour.
La BEI n’avait plus mené d’opération d’encouragement au capital-risque ou d’assistance technique en Israël depuis 1995, officiellement parce que le revenu par habitant en Israël dépassait le seuil fixé par l’institution européenne, dont le siège est à Luxembourg.
Officieusement, le gel de la coopération de la BEI aurait été lié à la désapprobation par l’UE de la politique de l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu, au pouvoir en Israël de 1996 à 1999.

Source: http://www.lorient-lejour.com.lb/page.aspx?page=article&id=330287

28 déc 2006

lundi 1 janvier 2007, 9h50



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5-2 Nidal, : La France, Israël et le marché de l’armement .
Pendant que nos représentants se félicitent officiellement de la position « équilibrée » de la France, la collaboration avec Israël n’a jamais été aussi importante que ces deux dernières années. Alors qu’Ariel Sharon dénonçait (juillet 2004) une France antisémite, nos politiques, eux, organisaient le soutien sur le terrain à la politique expansionniste d’Israël.

Pour tourner autour du sujet : un tramway.
Ainsi en est-il de la construction d’un tramway reliant Jérusalem à des colonies de Cisjordanie, contrat décroché par des industriels français grâce à l’implication de nos services diplomatiques. Un article de Françoise Germain-Robin dénonçait ce « tramway de la honte » dans L’Humanité (18 novembre 2005) :
"Deux sociétés françaises, Alstom et la Connex, ont signé en juillet dernier à Tel-Aviv, en présence de l’ambassadeur de France, un accord pour la construction d’un tramway reliant Jérusalem à plusieurs colonies israéliennes de Cisjordanie en traversant les territoires palestiniens annexés et occupés illégalement par Israël depuis 1967. [...]. C’est que le mur comme le tramway, ces faits accomplis imposés au peuple palestinien en saccageant leur présent et leur avenir, sont parfaitement illégaux et inacceptables aux yeux du droit international et du simple droit humanitaire."

L’universitaire François Dubuisson exposait l’illégalité de la participation française à un tel projet en décembre 2005 : "Le fait que le contrat ait été conclu par des sociétés privées ne signifie aucunement que l’État français soit déchargé de toute obligation concernant cette situation."

Il explique d’abord que l’aide diplomatique à l’obtention des contrats implique directement l’État français :
"[...] il apparaît que les autorités françaises ont joué un rôle actif de promotion dans la passation du contrat. [...] Par cette attitude d’aide et d’encouragement à la réalisation par des sociétés françaises du projet de tramway, et ce en dépit de ses implications, la France a certainement manqué à son obligation de non-assistance et de non-reconnaissance de la politique d’annexion et de colonisation de Jérusalem-Est et de ses alentours."

Il explique surtout que la 4e Convention de Genève impose à la France de faire respecter les conventions par ses ressortissants ; non seulement l’État doit-il respecter les conventions, il doit par ailleurs les faire respecter par ses citoyens :
"Cette obligation prend sa source dans l’article 1er commun aux conventions de Genève, qui énonce que « les Hautes Parties contractantes s’engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes circonstances ». Elle implique de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que des ressortissants français n’apportent pas de contribution au renforcement de la présence d’implantations juives dans et autour de Jérusalem-Est, qui est contraire à l’article 49 de la 4e Convention de Genève."

La collaboration EADS-IAI sous contrat français

Venons-en au sujet qui fâche. Les contrats d’armement entre mon pays, la France, et le pays qui vient de détruire le Liban, de massacrer sa population, en commettant chaque jour des crimes de guerre. Petit rappel historique : depuis 1967-1968, la France avait cessé (officiellement) toute collaboration militaire avec Israël. Voici le résumé que Wikipedia fait de ces événements :
"La rupture de cet équilibre eu lieu au mois de juin 1967 avec l’attaque surprise de la chasse israélienne sur les aérodromes égyptiens. Fort de ses soupçons sur l’imminence d’un conflit, le 2 juin, le général De Gaulle vint à décréter un embargo préventif sur les ventes d’armes à destination du Proche-Orient. Pris entre les intérêts systémiques de son allié français et la perception d’une menace à ses frontières, Israël fit le choix de l’assaut.
La guerre des Six Jours allait dès lors marquer le début de la rupture entre Paris et Jérusalem, la fin graduelle d’une alliance jadis née à l’aube de Suez et mise à mal une décennie plus tard.
Le président français avait déjà tenté de dissuader ses alliés israéliens de passer à l’attaque, en envoyant un signal ferme par le biais d’un embargo sur les livraisons d’armes. Or, devant l’intransigeance de ses homologues, De Gaulle vint à rendre son verdict, le communiqué du conseil des ministres du 15 juin 1967 condamnait ainsi l’« agression israélienne » et réaffirmait le refus de la France de tenir pour acquis aucun fait accompli. Le chef de l’État avait aussi donné pour mission à son gouvernement de dénoncer l’attitude de l’État hébreu devant l’Assemblée nationale ainsi qu’à l’ONU. Dans cette optique, les nouvelles orientations gaullistes supposaient une rupture nette, en réalité, derrière les mots accusateurs se cachait une réalité plus nuancée. L’embargo sur les armes décrété à la veille du conflit, n’avait été ainsi que partiellement respecté. Des pièces détachées et du matériel, continuaient à être acheminés secrètement vers Israël. [...]
Mais la rupture fut consommée entre les deux États en décembre 1968 avec une attaque israélienne au Liban. En riposte à un attentat anti-israélien sur l’aéroport d’Athènes, Tsahal avait lancé une opération de rétorsion sur l’aérodrome de Beyrouth. Opposé à la théorie des représailles, le président français proclama l’effectivité totale du boycott des armes à destination d’Israël. La France n’entendait plus épauler un allié qui refusait ses mises en garde et dont le statut de belligérance avec ses voisins, rendait impossible l’équilibre régional qu’elle avait envisagé jusqu’à la veille du conflit."

En juin 2004, le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Défense annoncent avec fierté la conclusion de contrats militaires entre la France et Israël.
La presse relate l’événement, rappelle vaguement le boycott depuis 1967, mais rigoureusement aucun débat démocratique n’intervient sur le sujet. Malgré l’importance de la décision, un lourd silence remplace toute forme de contestation. Le communiqué officiel est lui-même très vague, à la limite du mensonger :

"Ce que Mme Alliot-Marie a annoncé hier, c’est la commande à EADS, associé notamment à DASSAULT et à THALES, d’un démonstrateur de drones, Moyenne Altitude Longue Endurance, pour un montant global de 300 millions d’euros pour lequel les industriels apporteront eux-mêmes 150 millions d’euros. [...]
Ce qui est vrai, c’est que dans le passé, EADS a travaillé avec IAI sur certains aspects des drones. Il a, ainsi, dans le passé, acheté, des drones HUNTER, ceux-là mêmes qui ont réalisé la surveillance des cérémonies du 60ème anniversaire du Débarquement le 6 juin dernier. Il y a eu, au début des années 1990, l’acquisition auprès d’IAI de drones. L’armée de l’Air les a expérimentés et utilisés."

On découvre alors que, tout de même, la coopération remonte à 1993 :

"JFB : En ce qui concerne le volume de nos échanges en matière militaire, il s’agit aujourd’hui, pour l’essentiel, des suites du contrat Hunter de 1993, c’est-à-dire, de la maintenance et de la mise à jour technologique. Ce sont des opérations relativement légères. La moyenne annuelle de nos acquisitions entre 1993 et 2002 a été de 14MEuros, soit un montant très limité."
(Magie des gros sous : le « montant très limité » de 14 millions d’euros pendant dix ans, ça approche tout de même le milliard de francs.) Puis :
"Question : Êtes-vous en mesure de démentir les informations provenant d’Israël selon lesquelles il y a des négociations avec la France et qu’un accord est sur le point d’être signé pour un montant de 200 millions de dollars sur les drones ?
JFB : Je n’ai aucune information qui le confirme."

L’année suivante, en juin 2005, la collaboration entre les industriels français et Israel Aircraft Industries (IAI) est décrite avec plus de précision par « Armees.com ».

"Officiellement, ces engins sont français. Mais dans le vaste hangar de Malat, filiale d’Israel Aircraft Industries (IAI), spécialisée dans les drones (avions sans pilote), ce sont des techniciens israéliens qui s’affairent autour des trois Eagle One destinés à la France. Le ministère français de la Défense est en train d’acheter à l’Etat hébreu l’un de ses futurs systèmes de combat les plus pointus, un avion de reconnaissance sans pilote. Mais il évite soigneusement de le crier sur les toits du Salon du Bourget, préférant mettre en avant EADS, le partenaire d’IAI. Pas question pour la France de s’afficher trop ostensiblement aux côtés d’Israël, alors que les marchés arabes restent l’un des principaux débouchés de l’industrie d’armement. [...] »
« Transfert de technologie ». Après l’achat des Hunter en 1995, le programme Eagle One n’est que le deuxième étage d’une coopération plus large en matière de drone entre la France et Israël. Un troisième est déjà en cours, avec le futur EuroMale d’EADS. Annoncé au mois de juin 2004 par la ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, il s’agit d’un engin beaucoup plus puissant, volant à 45 000 pieds, c’est-à-dire plus haut que les avions de ligne. Là encore, il ressemble à l’Eagle Two d’Israel Aircraft Industries. « Les autorités françaises souhaitent acquérir une autonomie complète. Pour l’EuroMale, un véritable transfert de technologie est en cours entre Israël et la France », explique-t-on chez EADS, où l’on veut croire que « l’EuroMale pourrait déboucher sur une coopération européenne »."

En mars 2006, la « prestation » commerciale entre EADS et IAI a débouché, explicitement, sur la constitution d’une « équipe intégrée mixte » :

"L’entreprise IAI, en tant que coopérant majeur d’EADS dans l’opération SIDM, est en terme de marchés publics considérée comme un sous traitant à paiement direct pour, au titre de la tranche ferme, un montant de 21 M?.
À ce titre, et en accord avec les accords stratégiques entre les deux sociétés, une équipe intégrée mixte, majoritairement localisée en Israël, a été constituée afin de répondre aux exigences de ce contrat."

Au même moment, la « Chambre de Commerce France Israël » révèle l’ampleur du marché : « IAI et EADS ont finalement développé, avec de grandes difficultés, un nouveau drone » (c’est un article court et dense, je vous suggère de le lire intégralement en ligne).

"Israel Aircraft Industries (IAI) devient un coopérant en long terme et sérieux d’EADS dans l’opération Système intérimaire de drones MALE (SIDM).
Les israéliens construisent actuellement, et en pleine coopération avec les européens, un nouveau drone très différent de ce qui avait été prévu à l’origine.
C’est la Ministre Alliot-Marie, qui avait lancé la réalisation d’une coopération franco-israélienne dans le cadre d’une contribution qui devait être « assez légère ». Le journaliste israélien expérimenté qui en avait parlé le premier lors du dernier Salon Eurosatory, avait été « rabroué sérieusement » par la censure militaire israélienne. Les Français avaient été choqués par la divulgation d’informations supposées confidentielles. [...] Le groupe IAI était en terme de marchés publics considéré comme un simple sous traitant. Ceci figurait à l’origine dans le contrat original franco-israélien signé.
Le contexte international en a décidé autrement. De simple sous traitant, IAI est devenu (avec mille difficultés), un véritable partenaire à long terme de EADS. Ceci est très révélateur de la nouvelle coopération France-Israël. Le pragmatisme prédomine. Les Français travaillent de plus en plus avec les meilleurs sans mélanger obligatoirement affaires, technologies et politique."

« Sans mélanger affaires, technologies et politique », c’est vite dit. À condition que les médias propriété de Dassault occultent l’affaire et que les médias propriété de Lagardère n’en parlent pas. Le présent billet étant consacré au sujet : mélangeons, mélangeons !

Soutien économique et échange technologique

La première conséquence de cette collaboration est, a minima, le soutien économique français à l’effort de guerre israélien. Les communicants français ont tenté de désamorcer les critiques en présentant l’accord comme étant à sens unique : les livraisons de technologies ne se feraient que d’Israël vers la France. Mais, même en admettant cela, c’est un accord commercial : il y a bel et bien un « transfert » de France vers l’industrie militaire israélienne, « transfert » qui prend la forme de plusieurs centaines de millions de dollars. (C’est la base même de l’économie de marché : si vous achetez le produit d’une entreprise, vous financez de fait le fonctionnement et le développement de cette entreprise.) Un tel soutien économique n’est ni négligeable, ni innocent, politiquement et moralement.
La seconde conséquence, bien que niée par les déclarations officielles, c’est le transfert de technologies et compétences militaires de la France vers Israël. Le processus, tel qu’il apparaît, ne consiste pas à ce qu’IAI livre des drones, puis qu’EADS modifie ces drones sans qu’IAI sache ce qui a été réalisé. Ce serait la seule manière d’être certain que l’industrie militaire israélienne ne bénéficie pas des développements financés par les Français. (Une telle procédure, qui exclue officiellement le créateur initial du produit, n’est pas impossible ; voir par exemple, dans le sens France vers Israël, la création de l’avion de combat Nesher par IAI.)
Ce dont il s’agit ici, c’est d’une collaboration concrétisée par la création d’une équipe mixte franco-israélienne, basée en Israël, et dirigée par IAI. Donc, tous les développements apportés, avec le concours d’ingénieurs d’EADS et sous financement français, bénéficient à la fois aux Français et au constructeur israélien IAI. Non seulement la France subventionne ainsi la recherche et développement d’IAI, mais la collaboration avec EADS apporte à IAI les compétences technologiques de ses ingénieurs. L’accord, fondant officiellement un transfert d’Israël vers la France, est donc aussi un transfert de technologie militaire d’EADS vers IAI. Là encore, les conséquences politiques et morales sont énormes. Il est étonnant qu’un tel transfert ne fasse l’objet d’aucun débat public.

Repère et détruit (Seek and destroy)

La technologie concernée par cette collaboration, ce sont les drones, des avions sans pilotes. Leur importance est devenue primordiale dans la nouvelle forme de guerre adoptée par les Israéliens au Liban et à Gaza. Machines tellement importantes qu’en plein conflit, Israël prend encore le temps de bombarder spécifiquement la zone où un de ses engins s’est écrasé (Xinhua, « Israeli military drone crashes in Lebanon », 29 juillet 2006).

L’utilisation principale des drones est la surveillance et la reconnaissance du territoire. Les incursions de ces appareils au-dessus de Gaza sont quotidiennes. Les Palestiniens dénoncent le développement de « mini-drones pour surveiller Gaza » et rappellent :
"Les forces israéliennes ont utilisé des drones d’une technologie moins avancée pendant les 5 années d’Intifada Aqsa."
Au Liban, leur passage est devenu un des éléments de la « terreur tombée du ciel » : après ces missions de reconnaissance, les habitants attendaient avec angoisse un prochain bombardement. Comme Robert Fisk, j’ai entendu ce genre de témoignage :
"Avant que le missile n’explose, a-t-elle dit, un drone israélien, un avion de reconnaissance sans pilote qui envoie des images en direct à Tel Aviv, volait au-dessus du quartier de Chiah. « Um Kamel », comme les appellent les Libanais, a bourdonné ci et là pendant un moment [...]"
L’utilisation des drones comme moyen d’imposer une terreur permanente ressort ainsi de déclarations israéliennes :
“Use of this drone should send shivers down the spines of terrorists planning further attacks,” said an Israeli official. “Israel is using it to serve as a deterrent for further attacks. It provides us with constant intelligence in real time from afar, and enables us to respond immediately and forcefully.” [...]
“The drone shows we can still operate without being there,” said a security source."

L’autre utilisation de ces drones est offensive. Certains modèles sont équipés de charges et peuvent frapper des cibles au sol. Ainsi en est-il du massacre de Marjayoun dans lequel le convoi de la population évacuant la ville a été attaqué par un de ces engins. Robert Fisk raconte :
"Il y a ceux qui fondent en larmes lorsqu’ils racontent le massacre de Joub Jannine - et il y a les Israéliens qui ont donné la permission aux réfugiés de quitter Marjayoun, spécifiant la route qu’ils pouvaient emprunter, et qui les ont ensuite attaqués avec des drones sans pilote tirant des missiles. [...]
« La première bombe a frappé la deuxième voiture [du convoi] », a déclaré Karamallah Dagher, un journaliste de [l’agence] Reuter. « Je remontais la route, à mi-chemin, et mon ami Elie Salami se tenait là, me demandant si j’avais un peu d’essence en rab. C’est à ce moment-là que le second missile a frappé ; et, la tête et les épaules d’Elie furent arrachées. Sa fille Sally, qui a 16 ans, a sauté de la voiture et s’est mise à hurler : “Je veux mon papa ! Je veux mon papa !” Mais il n’était plus ». Hier, alors qu’il parlait de ces tueries, Dagher a fondu en larmes. Il essayait de faire sortir sa mère arthritique de sa propre voiture, mais elle se plaignit qu’il lui faisait mal. Il l’a replaça donc sur le siège du passager et s’assit à côté d’elle, s’attendant à une mort violence qui, Dieu merci, n’est pas arrivée. Mais elle est arrivée pour Colette Makdissi al-Rashed, la femme du moukhtar, qui a été décapitée dans sa jeep Cherokee ; elle est aussi arrivée pour un soldat libanais et pour Mikhael Jbaili, le volontaire de 35 ans de la Croix-Rouge, de Zahle, qui a sauté en l’air lorsqu’une roquette a explosé derrière lui."

Le silence médiatique autour de la collaboration franco-israélienne sur des technologies militaires utilisées ces derniers temps pour affamer et massacrer les Palestiniens et les Libanais est troublant. Depuis lundi, la rentrée médiatique permet aux « experts » de pérorer au sujet du Liban, d’Israël et du Hezbollah, de la participation française à « la paix » (FINUL), mais aucun n’évoque jamais cet enjeu, celui des gros sous et de l’engagement concret aux côtés de Tsahal.

Tentons quelques questions

1. Le fait d’être choisi par Israël pour collaborer sur des programmes militaires de plusieurs centaines de millions de dollars impose-t-il des concessions politiques ? La question se pose également pour l’Allemagne et le marché des sous-marins militaires. Inversement : est-il imaginable d’avoir une collaboration en recherche militaire et des livraisons officielles d’armes lourdes, sans avoir par ailleurs des accords politiques ? (L’annonce de l’accord a d’ailleurs été faite lors d’une conférence de presse conjointe des Affaires étrangères et de la Défense.)
2. Peut-on imaginer, en France, la constitution d’une commission d’enquête sur l’ampleur des transferts de technologie, sur la nature des accords franco-israéliens, et sur l’usage de ces technologies par les Israéliens ? Peut-on savoir si des technologies françaises ont été utilisées contre les civils libanais et palestiniens, et si elles risquent de l’être dans le futur ? Si elles risquent de l’être si Israël et les États-Unis déclenchent de nouvelles boucheries en Syrie ou en Iran ?
Une telle enquête n’a rien d’impossible : les Américains viennent d’en ouvrir une sur l’usage des armes à sous-munitions par leur client israélien. C’est un article du New York Times qui le révèle (« Inquiry Opened Into Israeli Use of U.S. Bombs », 25 août 2006 ; les archives du NY Times étant payantes, je fais le lien sur un autre site reproduisant intégralement l’article) :

"The State Department is investigating whether Israel’s use of American-made cluster bombs in southern Lebanon violated secret agreements with the United States that restrict when it can employ such weapons, two officials said.
The investigation by the department’s Office of Defense Trade Controls began this week, after reports that three types of American cluster munitions, anti-personnel weapons that spray bomblets over a wide area, have been found in many areas of southern Lebanon and were responsible for civilian casualties."

3. Nos responsables politiques envisagent-ils de réactiver le boycott sur les armes contre Israël, comme l’avait fait de Gaulle en 1967 ? Un débat parlementaire et médiatique va-t-il avoir lieu sur ce sujet ? Quelle est la position de nos candidats à l’élection présidentielle sur ce sujet ?
4. Nos médias vont-ils continuer à occulter ce sujet, malgré son importance morale et politique, et malgré le fait que les populations arabes savent, elles, avec quel « camp » la France collabore militairement ? Ou bien vont-ils continuer à entretenir le mythe d’une politique « pro-arabe » de la France ou, du moins, « équilibrée » ? Les grands médias français vont-ils nous exposer la nature des contrats qu’entretiennent leurs propriétaires avec l’expansionnisme israélien ? Continuer à parler de la France « contribuant à la paix au Moyen-Orient » en occultant systématiquement les contrats d’armement qu’elle a passés avec Israël, c’est un véritable talent. Talent que seuls les marchands de canons et les bétonneurs propriétaires des grands groupes de médias français semblent capables de reconnaître.
Nidal

29 août 2006
http://tokborni.blogspot.com/2006/08/la-france-isral-et-le-march-de.html
NDR : autres informations sur le site :
http://www.senateurs-socialistes.fr/filemanager/download/346/rapport%20n°%20215.pdf