lundi, octobre 23, 2006

N°194 - Journal de Palestine Special dossier - 23-10

médias.
L'image de l'enfant palestinien succombant sous les balles, ne peut être considérée comme un montage ou une mise en scène, a jugé le tribunal correctionnel de Paris
2 Les brèves
2-1 Omar Berbiche : Poudrière.
2-2 Amos Gvirtz : Ne dites pas... ‘nous ne savions pas’
3 Dossier
3-1 Point de vue de Samir Amin : : Le projet des Etats Unis, est d’établir leur contrôle militaire sur l’ensemble de la planète.
3-2 Point de vue de Bernard Ravenel : Palestine, entre guerre civile et unité nationale.
3-3 Entretien avec Mahmoud Darwish recueilli par Geraldina Colotti: « Israël a peur de la paix »,
3-4 Point de vue de Joharah Baker : Gaza, la maudite.4 Courrier des lecteurs & trouvé sur le net
4-1 Le quotidien d'Oran,: Abbas sollicite le soutien de Bouteflika.
5 Annexe
5-1 Nurit Peled-Elhanan : Éducation ou contamination des esprits ?
5-2 Shahar Ilan : Une vie qui n’est pas une vie.5-3 Shahar Ilan : On se réunifie avec soi-même
1 Médias
1-1 : L'image de l'enfant palestinien succombant sous les balles, ne peut être considérée comme un montage ou une mise en scène, a jugé le tribunal correctionnel de Paris.
L'image d'un enfant palestinien succombant sous les balles, diffusée par la chaîne française France 2 en 2000 et devenue le symbole de l'Intifada palestinienne, ne peut être considérée comme un montage ou une mise en scène, a jugé le tribunal correctionnel de Paris. Contre l'avis du parquet qui avait demandé sa relaxe, les juges ont condamné à 1.000 euros d'amende Philippe Karsenty, animateur du site internet Media-Ratings (www.M-R.fr) pour "diffamation publique" envers le journaliste Charles Enderlin et France 2.Philippe Karsenty est aussi condamné à verser un euro symbolique à chacun des deux plaignants, ainsi que 3.000 euros de frais de procédure. Il a annoncé aux journalistes son intention de faire appel et promis que ce qu'il présente comme les "preuves" de ses dires serait mis en ligne sur son site dans les prochains jours.Diffusées le 30 septembre 2000 sur France 2, les images tournées à Gaza ont fait le tour du monde et sont devenues le symbole des violences imputées aux troupes israéliennes dans la répression du soulèvement palestinien.Elles montrent la mort de Mohammed al-Doura, 12 ans, fauché par une rafale d'arme automatique dans les bras de son père, dans une escarmouche entre Tsahal et des combattants palestiniens. Selon le journaliste, les tirs provenaient des positions israéliennes.La thèse d'une simulation des protagonistes de l'épisode puis d'un montage des images, destinés à servir la cause palestinienne et à diffamer Tsahal, est devenu un sujet récurrent de certains médias pro-israéliens. Le procès de Paris a été largement couvert par les médias américains et israéliens."Provenant d'une source unique, une agence de presse israélienne, qui a formulé une telle accusation tardivement (près de deux ans après la diffusion du reportage), reposant essentiellement sur des extrapolations et des amalgames, (la thèse) se nourrit d'affirmations péremptoires", dit le jugement de Paris.Les juges soulignent "qu'aucune autorité israélienne, ni l'armée, pourtant concernée au premier chef, ni la justice, n'ont jamais accordé le moindre crédit" à ces affirmations."Le prévenu, en reprenant à son compte sans distance ni analyse critique de ses propres sources, la thèse d'une mise en scène à des fins de propagande (...) a manqué à l'exigence de sérieux attendu d'un professionnel de l'information", dit le tribunal.A l'audience en septembre, le parquet avait demandé la relaxe en estimant que Philippe Karsenty avait fait un travail sérieux et "de bonne foi".Philippe Karsenty affirme notamment que les 27 minutes de "rushes" du reportage permettent de démontrer que le jeune Palestinien n'est pas mort et il estime que les "invraisemblances, les contradictions, les mensonges" du reportage peuvent être aisément démontrés.
(Reuters) -
2 Les brèves
Ndlr : PS : La publication des articles ou analyse ne signifie nullement que la rédaction partage les analyses ou point de vue des auteurs, mais doit être vu comme information
Marc2-1 Omar Berbiche : Poudrière
Les dirigeants palestiniens tentent de rompre le silence dans lequel s’est murée la Ligue arabe face à la situation intenable dans laquelle vivent les Palestiniens depuis le blocus imposé par les Européens et les Américains au lendemain de l’arrivée du mouvement Hamas au gouvernement en sollicitant le soutien de certaines capitales arabes. L’Algérie, dont l’aide à la cause palestinienne ne s’est jamais démentie à travers l’histoire, compte parmi les rares soutiens des Palestiniens dans le monde arabe à ne pas avoir marchandé ou trahi le combat des Palestiniens pour le recouvrement de leur patrie. L’ancien premier ministre et envoyé spécial du président de l’Autorité palestinienne M. Ahmed Qoreï avait été reçu en audience mardi par le président Bouteflika à qui il a remis un message personnel de Mahmoud Abbas. Dans une déclaration à la presse à l’issue de l’entrevue, M. Qoreï a souligné qu’il avait informé le chef de l’Etat sur les contacts en cours pour la formation du nouveau gouvernement et la levée du blocus. Les négociations entre le premier ministre Hamas palestinien et le président Abbas pour surmonter la crise politique née de l’absence d’un consensus entre les différentes formations politiques influentes pour la formation d’un gouvernement d’union nationale se trouvent dans l’impasse. Le président de l’Autorité palestinienne a menacé d’user de ses prérogatives constitutionnelles pour dissoudre le gouvernement et révoquer le premier ministre. Cette solution radicale qui n’a jamais été évoquée auparavant dans le souci de privilégier le dialogue politique et la règle du consensus qui a toujours régi les relations et les conflits interpalestiniens risque, à l’évidence, de mettre le feu aux poudres dans les territoires palestiniens. La région est en effet doublement menacée par la folie meurtrière de l’armée israélienne qui est en train de rééditer à une petite échelle son expédition punitive au Liban au nom de la sécurité d’Israël et par les tensions interpalestiniennes. Encore une fois, pour dénouer la crise qui agite les institutions de l’Autorité palestinienne, les Palestiniens sont placés devant un choix douloureux qui risque de menacer la cohésion nationale après avoir provoqué une grave crise sociale et de confiance vis-à-vis de l’Autorité palestinienne qui fait face, impuissante, à une catastrophe humanitaire sans précédent. La solution extrapalestinienne qui semble se dessiner à grands traits n’aurait-elle pas pu être évitée si les Arabes et les musulmans, avec leurs poids démographique, politique et financier s’étaient montrés plus offensifs et moins égoïstes dans le soutien politique et financier accordé aux Palestiniens ? Un soutien presque forcé pour certains pays qui sont rétifs même pour verser leurs oboles aux Palestiniens. Et comble de l’ironie, ce sont les pays qui se présentent comme les plus grands défenseurs des Palestiniens qui comptent le plus leurs sous.
Omar Berbiche
2-2 Amos Gvirtz : Ne dites pas... ‘nous ne savions pas’
Le village de Izbit al-Tabib se trouve à quelque 7 kilomètres à l’est de Qalandiya. Les habitants de ce village vivent une situation très particulière. Ce sont des réfugiés du village de Tabsur, à côté de Ra’anana. Ils ont installé leur village en un lieu acquis dès les années vingt du siècle dernier par un des villageois. Du fait qu’ils n’habitent pas dans un camp de réfugiés, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, l’UNRWA, ne les considère pas comme des réfugiés et elle ne leur fournit pas les services accordés aux réfugiés. Le village se trouve en ‘Territoire C’ et Israël ne le reconnaît pas et il n’est par conséquent pas possible d’y bâtir de manière légale.
A Izbit al-Tabib vivent environ 300 personnes dans 40 maisons. Une vingtaine de maisons ont reçu un ordre de destruction, dont un dispensaire et un jardin d’enfants en construction. L’armée israélienne a barré la sortie vers la route. Le village possède environ 500 dounams de terres. Actuellement, Israël construit la clôture de séparation sur les terres du village, à environ 7 kilomètres de la Ligne Verte, coupant le village d’à peu près 40% de ses terres. Les villageois ne sont pas autorisés à aller sur leurs terres qui sont au-delà de la clôture. La saison de la récolte commence…
Amos Gvirtz
Kibush,12 octobre 2006
www.kibush.co.il/show_file.asp?num=16794
(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)
3 Dossier
Ndlr : PS : La publication des articles ou analyse ne signifie nullement que la rédaction partage les analyses ou point de vue des auteurs, mais doit être vu comme information
3-1 Point de vue de Samir Amin : : Le projet des Etats Unis, est d’établir leur contrôle militaire sur l’ensemble de la planète.
(partie Palestine )
Le projet des Etats Unis, soutenu par leurs alliés subalternes européens (et israeliens pour la région concernée), est d’établir leur contrôle militaire sur l’ensemble de la planète. Le « Moyen Orient » a été choisi, dans cette perspective, comme région de «première frappe», pour quatre raisons : Mettre en déroute les Etats Unis , Israel et leurs alliés dans les pays de la ligne de front ( Palestine, Liban, Syrie , Irak, Afghanistan, Iran) Le projet des Etats Unis, soutenu par leurs alliés subalternes européens (et israeliens pour la région concernée), est d’établir leur contrôle militaire sur l’ensemble de la planète . Le « Moyen Orient » a été choisi, dans cette perspective, comme région de « première frappe », pour quatre raisons : (i) elle recèle les ressources pétrolières les plus abondantes de la Planète et son contrôle direct par les forces armées des Etats Unis donnerait à Washington une position privilégiée plaçant leurs alliés – l’Europe et le Japon – et leurs rivaux éventuels (la Chine) dans une position inconfortable de dépendance pour leur approvisionnement énergétique ; (ii) elle est située au cœur de l’ancien monde et facilite l’exercice de la menace militaire permanente contre la Chine, l’Inde et la Russie ; (iii) la région traverse un moment d’affaiblissement et de confusion qui permet à l’agresseur de s’assurer d’une victoire facile, au moins dans l’immédiat ; (iv) les Etats Unis disposent dans la région d’un allié inconditionnel, Israel, qui dispose d’armes nucléaires. Le déploiement de l’agression a placé les pays et nations situés sur la ligne de front (l’Afghanistan, l’Irak, la Palestine, le Liban, la Syrie, l’Iran) dans la situation particulière de pays détruits (les quatre premiers) ou menacé de l’être (la Syrie et l’Iran). La Palestine Le peuple palestinien est, depuis la déclaration Balfour pendant la première guerre mondiale, la victime d’un projet de colonisation d’un peuplement étranger, qui lui réserve le sort des « Peaux Rouges », qu’on l’avoue ou qu’on feigne de l’ignorer. Ce projet a toujours été soutenu inconditionnellement par la puissance impérialiste dominante dans la région (hier la Grande Bretagne, aujourd’hui les Etats Unis), parce que l’Etat étranger à la région constitué de la sorte ne peut être que l’allié, à son tour inconditionnel, des interventions qu’exige la soumission du Moyen Orient arabe à la domination du capitalisme impérialiste. Il s’agit là, pour tous les peuples d’Afrique et d’Asie, d’une évidence banale. De ce fait, sur les deux continents, l’affirmation et la défense des droits du Peuple Palestinien unissent spontanément. Par contre en Europe la « question palestinienne » provoque la division, produite par les confusions entretenues par l’idéologie sioniste, qui trouvent souvent des échos favorables. Aujourd’hui plus que jamais, en conjonction avec le déploiement du projet américain du « grand Moyen Orient », les droits du peuple palestinien ont été abolis. Pourtant l’OLP avait accepté les plans d’Oslo et de Madrid et la feuille de route rédigés par Washington. C’est Israël qui a ouvertement renié sa signature, et mis en œuvre un plan d’expansion encore plus ambitieux ! L’OLP a été fragilisé de ce fait : l’opinion peut lui reprocher à juste titre d’avoir cru naïvement à la sincérité de ses adversaires. Le soutien apporté par les autorités d’occupation à son adversaire islamiste (Hamas) – dans un premier temps tout au moins – la progression de pratiques corrompues de l’administration palestinienne (sur lesquelles les « bailleurs de fonds » - Banque Mondiale, Europe, ONG – se taisent, s’ils ne sont pas parties prenantes) devaient conduire – c’était prévisible (et probablement souhaité) – à la victoire électorale du Hamas, prétexte supplémentaire immédiatement invoqué pour justifier l’alignement inconditionnel sur les politiques d’Israël « quelqu’elles soient » ! Le projet colonial sioniste a toujours constitué une menace, au delà de la Palestine, pour les peuples arabes voisins. Ses ambitions d’annexion du Sinaï égyptien, son annexion effective du Golan syrien, sont là pour en témoigner. Dans le projet du « grand Moyen Orient » une place particulière est donnée à Israël, au monopole régional de son équipement militaire nucléaire et à son rôle de « partenaire obligé » (sous le prétexte fallacieux qu’Israël disposerait de « compétences technologiques » dont aucun peuple arabe n’est capable
! Racisme oblige !). Il n’est pas dans notre intention de proposer ici des analyses concernant les interactions complexes entre les luttes de résistance à l’expansion coloniale sioniste et les conflits et options politiques au Liban et en Syrie. Les régimes du Baas en Syrie ont résisté à leur manière aux exigences des puissances impérialistes et d’Israël. Que cette résistance ait également servi à légitimer des ambitions plus discutables (le contrôle du Liban) n’est certainement pas discutable. La Syrie a par ailleurs choisi soigneusement ses « alliés » parmi les « moins dangereux » au Liban. On sait que la résistance aux incursions israéliennes au Sud Liban (détournement des eaux inclus) avait été construite par le Parti Communiste libanais. Les pouvoirs syrien, libanais et iranien ont coopéré étroitement pour détruire cette « base dangereuse » et lui substituer celle du Hezbollah. L’assassinat de Rafic el Harriri – sur lequel la lumière est loin d’avoir été jetée- a évidemment donné l’occasion aux puissances impérialistes (les Etats Unis en tête, la France derrière) d’une intervention dont l’objectif est double : faire accepter par Damas un alignement définitif au sein du groupe des Etats arabes vassalisés (Egypte, Arabie Saoudite) – ou, à défaut, liquider les vestiges du pouvoir baasiste dégénéré - , démanteler ce qui reste de capacité de résistance aux incursions israéliennes (en exigeant le « désarmement » de Hezbollah). La rhétorique concernant la « démocratie » peut être invoqué, dans ce cadre, si utile. Aujourd’hui défendre les droits inaliénables du peuple palestinien est le devoir impérieux de tous les démocrates du monde entier. La Palestine est au centre des conflits majeurs de notre époque. Accepter le plan israelien qui est celui de la destruction totale de la Palestine et de son peuple serait accepter la négation des peuples à leur droit premier : celui d’exister. Accuser « d’antisémitisme » ceux qui s’opposent au déploiement de ce projet est absolument inacceptable. en conclusion Aujourd’hui les « conflits politiques » opposent dans la région trois ensembles de forces : celles qui se revendiquent du passé nationaliste (mais ne sont plus en réalité que les héritiers dégénérés et corrompus des bureaucraties de l’époque nationale-populiste), celles qui se revendiquent de l’Islam politique, celles qui tentent d’émerger autour d’une revendication « démocratique » compatible avec la gestion économique libérale. Le pouvoir d’aucune de ces forces n’est acceptable pour une gauche attentive aux intérêts des classes populaires et à ceux de la Nation. En fait à travers ces trois « tendances » s’expriment les intérêts des classes compradore affiliées au système impérialiste en place. En fait la diplomatie des Etats Unis tient ces trois fers au chaud, s’employant à jouer de leurs conflits pour son bénéfice exclusif. Tenter de « s’insérer » dans ces conflits par des alliances avec ceux-ci ou ceux-là (préfèrer les régimes en place pour éviter le pire – l’Islam politique ; ou au contraire chercher à s’allier à celui-ci pour se débarrasser des régimes) est voué à l’échec. La gauche doit s’affirmer en engageant les luttes sur les terrains où celles-ci trouvent leur place naturelle : la défense des intérêts économiques et sociaux des classes populaires, de la démocratie et de l’affirmation de la souveraineté nationale, conçues comme indissociables. Tous les démocrates du monde doivent soutenir les chances de ces forces et, dans cet esprit, d’abord condamner sans restriction aucune toutes les interventions des Etats Unis, de l’Otan, d’Israel , des Nations unies domestiquées et de leurs alliés locaux dans la région. La région du « Grand Moyen Orient » est aujourd’hui centrale dans le conflit qui oppose le leader impérialiste et les peuples du monde entier. Mettre en déroute le projet de l’establishment de Washington constitue la condition pour donner à des avancées en quelque région du monde que ce soit la possibilité de s’imposer. A défaut toutes ces avancées demeureront vulnérables à l’extrême. Cela ne signifie pas que l’importance des luttes conduites dans d’autres régions du monde – en Europe, en Amérique latine, ailleurs – puisse être sous estimée. Cela signifie seulement qu’elles doivent s’inscrire dans une perspective globale qui contribue à mettre en déroute Washington dans la région qu’il a choisi pour sa première frappe criminelle. Aout 2006 http://forumtiersmonde.net
3-2 Point de vue de Bernard Ravenel : Palestine, entre guerre civile et unité nationale.
Alors que, du fait de l’embargo international contre les Palestiniens, la situation est de plus en plus dramatique et que se poursuivent les incursions toujours plus meurtrières d’Israël à Gaza, la scène politique palestinienne traverse une crise préoccupante. On n’oubliera pas de si tôt le « dimanche noir », le 1er octobre 2006, à Gaza. Au moins huit morts et 130 blessés, tel a été le coût immédiat de l’affrontement - télévisé - entre les forces de sécurité du Hamas et les fonctionnaires en grève parmi lesquels les agents des service de sécurité de la présidence, qui protestaient contre le non paiement de leurs salaires. Jamais la tension entre Hamas et Fatah, ou plutôt entre gouvernement et Présidence, n’avait atteint un tel niveau. Ce dimanche noir restera une blessure profonde dans le corps social de la Palestine. Le mouvement islamique n’a pas hésité à utiliser la force contre ses opposants et à tirer dans les rues de Gaza, imitant ainsi le comportement du Fatah quand il était au pouvoir et celui des régimes arabes en place. Eclat sans lendemain ou prodrome d’une guerre civile ? On peut s’interroger. Le lendemain, lundi, d’autres épisodes de violence opposant les deux factions politiques se sont déroulés à l’hôpital Shifa à Gaza (à l’occasion des obsèques des victimes de la veille), à Beit Hanoun et aussi en Cisjordanie (à Hébron, à Jénine, à Jéricho, à Naplouse et Qabatiya). Le mardi, après qu’à Gaza les forces spéciales du ministre de l’Intérieur, le dirigeant du Hamas Saïd Siam, eussent démontré leur capacité de violence contre les opposants, la tension à Ramallah, centre politique de la Palestine occupée, était extrême. Les manifestations de militants du Fatah ont voulu faire comprendre au Hamas qu’en Cisjordanie ce sont eux qui font, et feront, la loi... Les Brigades des Martyrs d’Al Aqsa menacent alors de tuer les chefs du Hamas, désignant nommément Khaled Mechaal, le leader de la direction extérieure du Hamas basée en Syrie et réputée hostile aux compromis et aux formules pragmatiques auxquels serait disposé le Hamas de l’intérieur dans ses rapports avec le Fatah. Un député du Hamas, Mushir Masri, a immédiatement « prévu » une riposte « sans miséricorde ». Le gouvernement d’unité nationale conclu le 11 septembre pour lequel beaucoup dans les deux camps avaient travaillé à partir du document des prisonniers semble désormais un mirage. Washington et Tel-Aviv, tous deux hostiles à ce gouvernement, doivent se frotter les mains. Ils peuvent espérer que se réalise bientôt leur projet qui verrait Mahmoud Abbas, forçant les échéances sous pression américaine, dissoudre par décret le gouvernement Hamas et convoquer de nouvelles élections législatives comme certains journaux arabes le laissent entendre. Il apparaît donc que cette confrontation Hamas - Fatah n’est pas seulement armée mais politique et personnelle entre le président Mahmoud Abbas et le Premier ministre Ismaël Haniyé. Celui-ci est en effet soumis à une forte pression du bureau politique extérieur dirigé par Khaled Mechaal et appuyé par la Syrie tandis que Mahmoud Abbas subit les pressions opposées de certains de ses proches collaborateurs comme Mohamed Dahlan, des régimes arabes proaméricains et des Etats-Unis pour pousser à de nouvelles élections législatives début 2007. Une manœuvre qui, si elle se réalisait, pourrait déclencher une guerre civile au sens plein du terme. Ce qu’aucun Palestinien ne veut. Et Mahmoud Abbas a cru nécessaire de préciser : « Toutes les options sont ouvertes sauf la guerre civile ». Cette exacerbation dramatique des tensions internes du système politique palestinien s’inscrit dans une situation aggravée par le boycott international de l’Autorité palestinienne déclenché après la victoire électorale du Hamas. Cet embargo s’ajoute au refus israélien de restituer aux Palestiniens leurs taxes douanières qui représentent plus du tiers du budget de fonctionnement et qui servaient surtout à assurer les salaires des 165.000 fonctionnaires désormais sans ressources avec leurs familles. En résumé, la pauvreté est transformée en misère totale. John Dugard, rapporteur de l’ONU pour les droits humains dans les territoires occupés a déclaré que « 75% de la population de Gaza dépend désormais des aides alimentaires pour survivre » en précisant que la crise actuelle est causée par la politique de Tel-Aviv. Tout se passe comme si Israël estimait ne pas pouvoir survivre à la fin de la logique de guerre permanente. Par conséquent, il lui faut créer un chaos généralisé en Palestine et dans la région. Après avoir combattu l’OLP par tous les moyens, liquidé l’accord d’Oslo et tout processus de paix, Israël vise maintenant à enterrer définitivement la feuille de route. Aujourd’hui il lui faut affaiblir le Hamas des territoires occupés - qui a démontré une réelle ouverture pour une solution politique sur la base des résolutions de l’ONU - y compris par l’assassinat : 60 de ses militants ont été froidement assassinés au cours de ces dernières semaines. Ainsi Israël favorise un Hamas extérieur, celui de la diaspora qui, avec le soutien de la Syrie, souhaite constituer une sorte de nouveau « front du refus ». Une région déstabilisée dans l’impasse Le résultat de ces deux tendances du refus de négociation qui s’alimentent réciproquement est l’éloignement de toute perspective politique pour désamorcer une situation explosive. C’est dans ce climat dominant que se situent les multiples propositions et manœuvres diplomatiques dans la région. C’est d’abord la question du soldat israélien fait prisonnier en juin à Gaza. Il semble que l’accord était en train de se faire - un échange de prisonniers - mais qu’il y ait eu in fine un veto de Khaled Mechaal. Or cet échec a eu des répercussions sur les négociations pour la formation d’un gouvernement d’union nationale. D’autres canaux discrets avec le Qatar ont été activés pour relancer la négociation sur ce problème. Sans succès. En même temps, l’Arabie Saoudite et de nombreux pays arabes - les régimes sunnites - doivent affronter une situation délicate, qu’ils perçoivent comme menaçante. Ils savent l’énorme popularité » dont jouit le Hezbollah après sa résistance à l’armée israélienne, ce qui renforce les secteurs « fondamentalistes » dans leurs pays. Face à l’impasse américaine en Irak, face aussi à l’inquiétude des régimes arabes qui ne souhaitent pas le maintien du Hamas dans le gouvernement de la Palestine - dangereux précédent pour eux - les Etats-Unis se disent prêts à ouvrir le dossier palestinien. Ils promettent aux Arabes de créer l’Etat palestinien et de chasser le Hamas du gouvernement palestinien. Il s’agit aussi de faire émerger un « front arabe modéré » à opposer à l’Iran et à son programme nucléaire. Et pour gagner du temps, les Etats-Unis se disent prêts à accepter le retour sur la scène de l’initiative saoudienne de Beyrouth de mars 2002, laquelle, soutenue par toute la Ligue arabe, a offert à Israël la paix avec tout le monde arabe en échange d’un retrait sur les frontières de 1967. On connaît la suite : pour toute réponse, le gouvernement de Sharon a intensifié la répression (opération Rempart ») et , en accord avec Bush, a décidé le trop fameux retrait unilatéral de Gaza. En fait, il s’agissait de « congeler » toute négociation sérieuse de paix, ce qui a conduit inévitablement à une détérioration de la situation en particulier à Gaza. Or c’est sur ce point crucial - acceptation de l’initiative arabe de paix - qu’il y a eu revirement du Hamas, ce qui aurait fait capoter l’accord réalisé avec le Fatah le 11 septembre. D’où le débat récurrent relancé sur la reconnaissance d’Israël car soutenir l’initiative de Beyrouth c’est reconnaître implicitement, de facto, l’Etat d’Israël dans les frontières de 1967. En fait le débat idéologique qui semble porter sur la reconnaissance d’Israël masque le débat politique qui porte sur la possibilité et la nécessité d’une plateforme d’un gouvernement d’unité nationale. Pour mieux comprendre la divergence interne du Hamas il faut distinguer d’un côté le refus idéologique d’Israël dans la Charte du Hamas, fondé sur un argument religieux (la Palestine comme terre de l’Islam) donc sacré, et de l’autre la possibilité d’un accord programmatique d’un gouvernement où le Hamas serait présent. Cet accord se réfère au document des prisonniers, initialement approuvé par toutes les composantes politiques et qui reconnaît l’OLP comme seul représentant légitime du peuple palestinien à l’intérieur et à l’extérieur. Or, reconnaître ainsi l’OLP comme « référence politique », c’est entériner les accords signés incluant la reconnaissance d’Israël. En même temps, le texte des prisonniers rappelle la nécessité de « faire appliquer les décisions politiques... des sommets arabes », en clair l’accord de Beyrouth de mars 2002. L’objectif politique d’ensemble d’un tel accord gouvernemental est la négociation politique avec Israël pour l’établissement d’un véritable Etat palestinien indépendant dans les frontières de 1967. C’est ce que souhaite la grande majorité des Palestiniens et aussi des électeurs du Hamas. C’est évidemment ce que ne souhaitent ni Israël ni les Etats-Unis. Tout se passe comme si le système politique palestinien, devenu bipolaire, était en train de se re-diviser sur la base de la bipolarisation extérieure qui s’est créée au Moyen-Orient, celle qui opposerait l’Occident dirigé par les Etats-Unis et Israël, mais avec des alliés dans le monde arabe, à l’axe Hezbollah - Syrie - Iran. Or cette bipolarisation divise, dans leur intérieur, chacune des deux grandes forces palestiniennes alors que la majorité des éléments qui les composent venait de réussir à constituer un gouvernement d’unité nationale. Pour les Palestiniens, seul ce type de gouvernement est susceptible de répondre à l’aspiration unitaire profonde et à leur volonté de négocier mais à partir d’une stratégie de résistance plus ferme et la plus unifiée possible. La contradiction principale réside plus que jamais dans la lutte entre le monde arabe occupé par Israël (Palestine, Syrie, Liban) et le colonialisme israélien soutenu par les Etats-Unis. Tant que l’indépendance nationale n’est pas conquise, toute autre forme de stratégie qui diviserait le peuple palestinien relèguerait l’objectif central palestinien dans le domaine de l’utopie. Et l’indépendance suppose aussi une autonomie vis-à-vis des stratégies étatiques extérieures. Dans ce moment très délicat où se trouve le peuple palestinien, où les pressions extérieures perturbent gravement le pouvoir de décision interne, il est temps que l’Europe descende du char américano-israélien pour développer une politique qui permette non seulement le retour des négociations politiques (dans le cadre d’une conférence internationale) mais aussi qui rende possible une amélioration immédiate de la situation en Palestine. Ce qui passe par l’obligation faite à Israël de reverser immédiatement et inconditionnellement le produit des taxes palestiniennes qu’il retient indûment et par le rétablissement inconditionnel de l’aide financière aux autorités palestiniennes. Déjà le quartette, sous pression de l’Europe, contre l’avis des Etats-Unis, a défendu l’idée d’un gouvernement palestinien d’union nationale, montrant ainsi un début d’autonomie vis-à-vis des Etats-Unis et d’Israël. Elle doit en arriver vite aux décisions concrètes avant que ne s’affirme une logique de guerre civile tragique en Palestine dont elle porterait en partie la responsabilité. Mercredi 18 Octobre 2006Sources : France Palestine
Posté par Adriana Evangelizt
3-3 Entretien avec Mahmoud Darwish recueilli par Geraldina Colotti: « Israël a peur de la paix »,
(version intégrale).
L’Aquila
Un prix international, une gigantographie partout, le cadre raffiné du centre historique et une suite à l’Hôtel Sole. L’Aquila accueille ainsi Mahmoud Darwish, extraordinaire voix de la poésie palestinienne, membre du Comité exécutif de l’OLP jusqu’en 93, fondateur de la revue al Karmel à Ramallah, où il vit maintenant.
Il arrive avec Chirine Hadjar, impeccable interprète libanaise, capable de restituer le cri et la raison, tension lyrique et tension éthique de l’auteur de Murale (en France chez actes Sud, poème traduit de l’arabe par Elias Sanbar, NDT).
Mais par ailleurs, ce prix Laudomia Bonanni, qui explore des sentiers audacieux entre politique et hospitalité, a une tonalité féminine : de la présidente de la Province, Stefania Pezzopane, à Irene Barbi, à Anna Maria Giancarli.

Vous aviez sept ans quand votre village a été attaqué par les israéliens. Vous avez du fuir au Liban, où vous avez vécu en exilé. Et vous avez chanté les périples de Beyrouth dans un poème splendide qui se trouve dans l’anthologie palestinienne publiée par Manifestolibri (maison d’éditions de il manifesto, NDT). Pourtant, cet été, quand notre journal vous a joint par téléphone, vous n’avez pas voulu vous exprimer sur la nouvelle agonie de Beyrouth agressé par Israël. Pourquoi ?
J’étais assailli par les medias, qui attendaient du poète des réponses que seuls les politiques pouvaient faire. Je sais que ce n’était pas l’intention de il manifesto, je vous présente des excuses tardives, mais j’ai voulu me soustraire au bazar. Aujourd’hui je voudrais adresser une question à ceux qui m’appelaient d’Europe, en se disant « désorientés » par la nouvelle guerre d’agression : où est l’intelligence d’Israël si, pour empêcher la résistance libanaise ou palestinienne, il détermine les conditions qui la produisent ? Pensez-vous que les Fermes de Sheeba aient des possessions minières ? Elles ne valent rien, et si Israël se retirait, le Hezbollah n’aurait plus besoin d’armes. Si Israël ne veut pas de résistance palestinienne, il doit se retirer à l’intérieur des frontières de 67. S’il veut la paix avec les arabes, il doit se retirer du Golan. Que fait-il encore à Ramallah et à Gaza ? Les Palestiniens ne demandent que 22% du territoire national historique, tous les problèmes du Moyen-Orient pourraient se terminer s’ils nous reconnaissaient au moins cela. Les Israéliens sont comme les blancs d’Afrique du Sud, et nous comme les noirs. Nous avons accepté d’être les noirs, mais ça ne suffit pas : pour eux nous ne pouvons être ni blancs ni noirs : que veulent-ils ? Ma seule conclusion est la suivante : les Israéliens ne sont pas mûrs pour cette paix, ils ont peur de la paix.

Détruire l’état d’Israël, cependant, a été un slogan longtemps utilisé...
Les Israéliens ont une obsession sécuritaire due à deux sortes de peur : une, légitime et compréhensible, due à ce qu’ils ont subi de la part des européens. Mais, de cela, ils ont été en partie indemnisés aux dépens de la Palestine, et, prenant appui sur le sentiment de culpabilité de l’Europe, ils vivent d’un crédit infini sur le plan moral, économique et militaire. Au point qu’aujourd’hui, critiquer la politique israélienne équivaut à de l’anti-sémitisme. Mais il y a un autre type de peur que nous ne pouvons pas résoudre même si un nouveau Freud se présentait : c’est la peur de ce qu’ils ont commis contre nous. Mais nous nous sommes prêts à oublier et à pardonner s’ils nous restituent certains droits. La haine et la rancœur ne sont pas éternelles, si la victime obtient une indemnisation. Ce n’est qu’à Israël de décider.

Un an après les tragiques événements de 48, votre père est rentré en Palestine et a trouvé sa maison occupée par des colons. Il s’est alors installé dans le village de Deir el-Asad, en vivant comme « réfugié dans sa patrie », et en vous transmettant ce sens du dépaysement qui détermine les pointes les plus hautes de votre poésie. En tant que dirigeant de l’OLP, vous avez été opposé aux accords d’Oslo, qui échouèrent surtout sur la question du droit au retour. Pensez-vous qu’aujourd’hui ce soit encore le principal obstacle aux tractations ?
La question des réfugiés n’est pas le grand obstacle au problème de la paix, comme le voudrait Israël. Il peut se résoudre bien plus facilement que le problème des colonies. Personne ne demande plus de faire rentrer tous les réfugiés, ni les réfugiés ne veulent rentrer en masse en Palestine. Ce temps est passé. Il s’agit de réaffirmer un principe. Pourquoi les réfugiés juifs qui sont partis il y a deux mille ans peuvent-ils rentrer et les Palestiniens qui ont été chassés en 48 ne peuvent-ils pas le faire ? Si Israël est un état si fort, il pourrait présenter ses excuses au faible, et accepter le retour de quelques milliers de réfugiés. Le droit au retour pourrait rester comme un texte juridique. Pourquoi ne le font-ils pas et continuent-ils à favoriser les colons venus de l’extérieur ? Veulent-ils un état juif pur ? Ils pourraient le faire en se retirant des territoires où habitent les arabes. Pourquoi oppriment-ils 2 millions de Palestiniens en Cisjordanie ? S’ils se retirent, ils auront un état juif pur où il n’y aura pas d’arabes. La vérité c’est que, depuis le début, Israël n’a jamais été pur parce qu’il existait aussi l’autre communauté, celle qui est arabe. Ils parlent d’un danger démographique. Un problème qui peut se résoudre de deux façons : ou en restituant leurs droits aux Palestiniens, en arrivant à une conciliation et en vivant comme de bons voisins, ou bien en détruisant avec une bombe atomique tout un continent d’arabes dans lequel, depuis le début, vit quelque un million et demi de juifs.

Pendant ces dernières années, même en Italie - où le soutien à la cause palestinienne a toujours guidé les choix de politique extérieure, même dans les gouvernements anti-populaires- la perception symbolique des Palestiniens a changé, transformés de victimes en dangereux barbares terroristes. Comment l’expliquez-vous ?
Les Israéliens essaient de monopoliser le rôle de la victime tout le long du cours de l’histoire et ils ne supportent pas d’autres prétendants. Même Bush se dit victime du terrorisme. Mais comment fait une victime pour occuper l’Irak et l’Afghanistan, terroriser le monde entier et avoir même l’hégémonie politique en Europe - une Europe qui n’est plus indépendante comme avant ? Je ne tiens pas au rôle de victime. Entre le bourreau et la victime il y a une troisième voie : être un homme normal. Les israéliens ne veulent pas être un état normal parce qu’ils pourraient perdre leur trait distinctif et leur unité interne. La vie normale pourrait soulever des questions sur la nature de la société israélienne.

Beaucoup ont interprété la guerre au Liban comme les premiers signes d’un projet d’agression plus ample au « croissant chiite » dans la cadre du Grand Moyen-Orient imaginé par Bush.
Je me demande si les Américains eux même ont une définition précise de ce Grand Moyen-Orient. Il y a deux ans ils parlaient de Nouveau Moyen-Orient, terme partagé par Shimon Pérès. Nous voulons tous un Moyen-Orient nouveau, un monde arabe nouveau, un Moyen-Orient sans occupation, sans dictature, sans pauvreté, analphabétisme, où il n’y ait ni tension ni guerre : voilà ce que nous voudrions nous, mais je ne comprends pas ce que veut Bush. Je ne peux pas comprendre la signification de ses paroles, mais je comprends celle de ses actions. Je me rends compte qu’il a détruit l’Irak qui, à l’ombre de l’ex-dictature, était encore, au moins, un pays unifié : les irakiens étaient à l’abri, il n’y avait pas de conflit entre sunnites et chiites, ni entre kurdes et arabes, par contre maintenant il y a un projet d’état à chaque coin de rue. Si le Nouveau Moyen-Orient suit le modèle irakien - soit un état complètement désagrégé et démembré- il ne serait pas nouveau mais très vieux : le Moyen-Orient du temps des cavernes, avant la naissance du concept même de citoyenneté et des droits de l’homme, un Moyen-Orient barbare. Nous sommes face à un régime américain nouveau, un régime fondamentaliste, fortement idéologique, qui met en acte une politique d’extrême-droite et croit en l’idée de l’empire américain. Un régime féroce envers ses propres citoyens. Bush est en train de conduire le monde à l’abîme, mais il y a une chose qu’il est arrivé à faire de façon parfaite : renforcer les extrémismes au Moyen-Orient, et il est responsable de cette guerre des extrémismes qui pourrait nous conduire au « choc des civilisations ».
Pour ce qui concerne la guerre, je pense que ce n’est pas le cas de trop en emphatiser la signification, au-delà de l’épisode spécifique : le Hezbollah a enlevé deux soldats israéliens pour arriver à un échange de prisonniers libanais, il s’est agi d’un simple incident de frontière, dépourvu de grands desseins stratégiques. Le Hezbollah n’a probablement pas calculé l’éventuelle réaction israélienne et Israël a mal évalué la réaction du Hezbollah. Et après, comme il arrive souvent, les guerres créent leurs propres dynamiques et ne sont plus contrôlables.

En mars, Epochè publiera un livre d’entrevues dans lequel vous parlez de guerre asymétrique et du concept de crime.
Je suis vraiment dégoûté si un civil est tué en Irak. Mais pourquoi est-ce que je ne vois pas le même dégoût quand un pilote extermine des milliers de personnes, ou comme dans le massacre de Cana ? Le pilote a appuyé sur un bouton et dix minutes après il était chez lui, peut-être en train de jouer avec ses enfants, et il n’a pas vu qu’il a tué ceux des autres. Si un crime est commis ave l’utilisation d’instruments sophistiqués, il n’existe pas ? Enlever un journaliste américain est un crime, mais enlever une patrie dans sa totalité ne l’est pas ? Je ne veux pas créer d’équivoques, je ne défends pas l’enlèvement des journalistes en Irak, mais il faut définir le concept de crime : plus le crime est grand plus il est propre. Les nouvelles sur les meurtres de Palestiniens ressemblent au bulletin météo, il y a en moyenne 5 martyrs chaque jour, on meurt aux postes de contrôle et au pied du Mur, mais quand le meurtre devient routine, personne ne s’indigne, la souffrance devient ennuyeuse et la solidarité aussi. Le monde a célébré la chute du mur de Berlin, qui pourtant était un petit mur, comment ce même monde peut-il accepter le mur de 600 kilomètres qu’Israël a construit autour des Palestiniens ? Le monde entier a célébré la chute du régime d’apartheid en Afrique du Sud, que dit-il maintenant qu’Israël applique le même régime aux Palestiniens ? Nous, nous ne vivons pas seulement sous occupation, mais dans les cellules, dans les prisons sous occupation. Savez-vous combien de personnes sont mortes aux postes de contrôle parce qu’ils ne pouvaient pas aller jusqu’à l’hôpital, combien de femmes ont du accoucher leurs enfants devant les check-points ? Tout cela renforce la rancœur et la haine, transforme les personnes en monstres. Malgré cela, nous sommes prêts, nous, à vivre avec les israéliens, ils doivent seulement payer un prix minime : la reconnaissance d’un état palestinien à Gaza et en Cisjordanie.

Vous avez plusieurs fois, vous, été prisonnier des israéliens et ces jours ici vous avez apporté votre poésie dans la prison de L’Aquila. Que pensez-vous du document que des prisonniers palestiniens comme Marwan Barghouti ont proposé à l’extérieur ?
Ce document, signé par des militants de grande expérience qui représentaient des tendances politiques différentes, avait pour intention d’exercer une pression sur les responsables palestiniens. Ces détenus de grand poids et crédibilité, étaient arrivés, en prison, à dialoguer entre eux bien mieux que ce qu’il était arrivé à l’extérieur. Et tous, comme principe, ont déclaré être d’accord avec ce document, mais rien ne s’est traduit en pratique. Dehors, chaque groupe a essayé d’interpréter à sa façon le document, qui à la fin a été vidé de son contenu. Certains responsables ont montré que gouverner n’était pas une occasion de servir leur société, mais une occasion de servir leur envie de pouvoir.

Quelle issue prévoyez-vous pour les conflits internes aux Palestiniens ?
En tant que citoyen palestinien, je ne comprends pas comment certaines personnes peuvent rester au pouvoir s’ils n’arrivent pas à résoudre cette crise. Si j’étais à leur place, je reconnaîtrais l’échec et je passerais dans l’opposition. Il semble que le pouvoir suive toujours la même logique : quand quelqu’un y arrive il change de mentalité. Mais en attendant, avec l’embargo, la société palestinienne a faim et a déplacé son attention des questions nationales à celles de tous les jours. Ce qui est en train d’arriver est une catastrophe politique, sociale et morale, et je ne sais pas comment la sagesse palestinienne arrivera à la résoudre.

Quels sont les thèmes qui influencent votre poétique aujourd’hui ?
Tout influence mon monde poétique, mais la poésie ne peut pas tout soutenir. Souvent, on demande au poète ce qu’il pourrait faire en temps de guerre. A mon avis les poètes ne devraient pas utiliser la langue de la guerre pour refuser la guerre. Un poème, si fort soit-il, ne peut jamais faire tomber un avion, mais il peut influencer la mentalité du pilote, donc le poète devrait chercher les aspects humains, les éléments universels dans les événements. Il devrait entrer dans l’univers intime de la victime de la guerre. La poésie devrait être un hymne à la gloire de la vie, lutter contre les choses laides avec la beauté, et contre la guerre à travers la paix. Le plus grand cadeau que la littérature palestinienne pourrait faire à l’occupation israélienne serait celui de rester prisonnière des arguments de la guerre, et de ce qu’inflige l’occupation. De cette façon, le monde intérieur du palestinien demeurerait entièrement voilé et les personnes deviendraient des copies, des masques. Nous avons beaucoup écrit contre l’occupation, l’humiliation, l’injustice, mais maintenant le palestinien a le droit, le devoir même, d’écrire un poème d’amour.
Geraldina Colotti
[ Cette version est l’intégrale inédite de l’entretien avec Mahmoud Darwish recueilli à L’Aquila par Geraldina Colotti, pour le quotidien il manifesto, publié dans une version plus courte dans l’édition de vendredi 20 octobre 2006.]
Source : il manifesto www.ilmanifesto.it
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio (Palestine13)
Droits de reproduction libres en informant l’auteur et la traductrice gcolotti@ilmanifesto.it... et marie-ange.patrizio@wanadoo.fr... )

3-4 Point de vue de Joharah Baker : Gaza, la maudite.
Ce qui est si remarquable concernant le conflit dans la Bande de Gaza, c’est la pure ténacité et la durabilité à la fois de la détermination israélienne à la détruire et de ses habitants palestiniens à tenir bon. Voilà un endroit où 1million et demi de gens sont entassés dans une zone de 360 kilomètres carrés, soit, en gros, environ 2 fois la taille de Washington DC [1]. Complètement coupée de la Cisjordanie et d’Israël, Gaza a subi le plus gros des assauts militaires israéliens qui n’ont pas cessé depuis 6 ans contre les Palestiniens, malgré le démantèlement des colonies juives et le « retrait » israélien de ces territoires en août 2005. Hormis le fait alarmant que deux tiers des familles de Gaza vivent au dessous du seuil de pauvreté [2], qu’environ 45 de la population est sans travail et vit dans des camps de réfugiés surpeuplés, pendant les 6 années de la deuxième Intifada la Bande de Gaza a été constamment visée par la direction militaire israélienne, ce qui a causé la mort de plus de 2 300 Gazaouis, soit plus de la moitié du nombre total de Palestiniens tués depuis le début du soulèvement.
Il y a 4 jours, Israël a encore lancé une nouvelle opération, appelée “Opération Rain Man” dans la Bande, officiellement pour écraser les mouvements palestiniens responsables des tirs de roquettes artisanales de Gaza sur Israël, et avec l’objectif d’assurer la libération du caporal israélien capturé par des groupes palestiniens le 25 juin dernier. Depuis jeudi 12 octobre Israël a réussi à tuer 23 Palestiniens lors d’opérations aériennes et terrestres [3]. Plusieurs des victimes étaient membres de groupes militaires, dont les Brigades Izzedin Al Qassam du Hamas. Mais beaucoup de civils ont aussi perdu la vie dans l’opération, dont un passant de 15 ans. Des dizaines d’autres ont été blessés pendant les raids. Alors que les forces israéliennes se retiraient du nord de la Bande de Gaza, de Khan Younis et Jabaliya, après trois jours de destruction et de tuerie, les responsables militaires et politiques israéliens disent maintenant qu’une opération plus vaste et plus globale se profile à l’horizon. Quel est le dernier prétexte à cette action ? Israël dit que le Hamas a fait entrer en contrebande pour 6 millions de dollars d’armes d’Egypte, rien que la semaine dernière. Le Brigadier General Yossi Baidatz, responsable des services du renseignement militaire israélien, a même affirmé que le Hamas fait entrer des missiles antiaériens dans le Bande de Gaza, ce qui, dit-il, pourrait être une menace contre les avions israéliens et justifie donc l’extension de l’opération militaire Le Hamas, c’est évident, a vivement démenti ces affirmations, disant que c’est une ruse israélienne afin d’avancer dans leur projet destructeur de renversement du gouvernement et d’annihiler les groupes de la résistance armée à Gaza. Un porte-parole du ministère de l’Information palestinien a dit que « la récente escalade israélienne est une grave menace pour l’ensemble de la situation. Elle sent la mort et le sang ». Il est évident qu’Israël met les bouchées doubles en ce qui concerne la Bande de Gaza et le Hamas. Dans sa campagne contre le mouvement (Hamas) et le gouvernement dont il est aux commandes, Shaul Mofaz, ministre israélien des Transports, appelle aussi son gouvernement à interdire le retour dans la Bande de Gaza de Saeed Siyam, ministre de l’Intérieur palestinien, après la navette qu’il vient de faire entre l’Iran et la Syrie, sous prétexte que Siyam cherchait un soutien financier pour le Hamas dans ces deux pays. Pendant ce temps, comme dans tous les conflits, ce sont les citoyens ordinaires qui paient le prix le plus lourd. D’après une estimation des Nations unies, la Bande de Gaza a subi pour 30 millions de dollars de dégâts depuis juillet dernier, y compris des démolitions de maisons, l’arasement des terres, le bombardement des ponts, des routes et de la centrale électrique. Depuis, les Gazaouis ont dû faire avec environ 8 heures d’électricité par jour puisque les sources alternatives ne peuvent fournir l’électricité à l’ensemble de la Bande en même temps. Alors qu’on arrive à la fin du mois du Ramadan et que l’Eid Al Fitr approche, les habitants de Gaza n’ont guère le temps de penser à la couleur des chaussures qu’ils porteront pendant la fête musulmane. Tandis qu’Israël va probablement continuer à utiliser le prétexte du soldat capturé et les roquettes quasi inoffensives -seuls 5 Israéliens ont été tués par ces roquettes artisanales en 6 ans- de même que la contrebande d’armes, pour poursuivre ses opérations à Gaza, les Palestiniens ne sont pas dupes. Israël sait bien que le coeur de la résistance et la détermination palestiniennes se trouve à Gaza. Depuis des années, Israël essaie d’annihiler l’esprit d’airain des Gazaouis, mais, comme l’histoire l’a montré, il a échoué. Si Israël décide d’envahir Gaza par air ou par mer -ce qui semble de plus en plus probable - alors Gaza va subir la plus grande épreuve d’endurance qu’elle a eu à subir [4]. Si les Palestiniens savent où est leur intérêt et s’ils veulent survivre au massacre, alors le temps est venu de mettre leurs différences de côté et de s’unir. Au lieu de s’insulter et de s’accuser, le Hamas et le Fatah devraient s’entendre sur la manière de résister ensemble au véritable ennemi : l’occupation israélienne [5].
Joharah Baker
18 Octobre 2006
[1 la capitale fédérale des Etats-Unis est située sur un territoire qui lui est propre, le District of Columbia (DC)
[2] 2 dollars par jour et par personne, soit 1.8 Euro
[3] à Gaza. Les incursions, attaques par des escadrons de la mort et autres raids militaires israéliens en Cisjordanie ont aussi fait une vingtaine de morts dans la même période.
[4] voir aussi l’article du Monde : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3218,36-824779@51-803567,0.html
[5] voir aussi la déclaration de Mustafa Barghouthi :
http://french.pnn.ps/index.php ?option=com_content&task=view&id=346&Itemid=1
Joharah Baker écrit pour le "Media and Information Programme" pour MIFTAH ( Palestinian Initiative for the Promotion of Global Dialogue and Democracy). On peut la contacter à mip@miftah.org
http://miftah.org/Display.cfm ?DocId=11699&CategoryID=3 16 octobre 2006
traduction, notes et choix de photos : CL, Afps
Sources : France Palestine
4 Courrier des lecteurs & trouvé sur le net
Ndlr : PS : La publication des articles ou analyse ne signifie nullement que la rédaction partage les analyses ou point de vue des auteurs, mais doit être vu comme information
4-1 Le quotidien d'oran, : Abbès sollicite le soutien de Bouteflika. Le Président palestinien, M. Mahmoud Abbès, a sollicité mardi le soutien du Président Abdelaziz Bouteflika, face au blocus financier et économique imposé à la Palestine depuis le début de l'année. C'est à travers un message, transmis mardi, par l'ancien Premier ministre et membre du Comité central du Mouvement Fatah, M. Ahmed Qoreï (Abou Alaa) au chef de l'Etat que le Président Mahmoud Abbès a sollicité la clairvoyance et le soutien du président de la République pour permettre à la Palestine de sortir de cette grave crise financière qu'elle traverse à la suite de la suspension des aides internationales directes des donateurs qui considèrent le Hamas, qui contrôle le gouvernement, comme une «organisation terroriste».Arrivé à Alger, l'émissaire palestinien a eu une rencontre avec le ministre du Travail et de la Sécurité sociale, M. Tayeb Louh et l'ambassadeur de la Palestine à Alger. A l'issue de cette audience, M. Qoreï a affirmé avoir trouvé «comme à l'accoutumée, tout le soutien et l'assistance de la part du président de la République» après l'avoir informé de la situation dans les territoires palestiniens et des «contacts en cours pour la formation d'un gouvernement en mesure de lever le blocus imposé au peuple palestinien». Dans ce cadre, le président palestinien a annoncé, dans une déclaration faite à la presse, à Ramallah en Cijordanie, qu'un «gouvernement de technocrates indépendants est la solution la plus simple et la plus pratique», faute d'un accord avec le Hamas pour un cabinet d'union nationale. Pour M. Abbès, un gouvernement de technocrates pourrait rester en place «pour plusieurs mois» afin de lui donner le temps de travailler avec le Hamas à une solution à plus long terme. Le président palestinien n'a pas exclu l'étude «d'autres options» pour sortir de la crise, si la mise en place d'un gouvernement de technocrates s'avère impossible. Il n'a pas exclu, également, l'organisation d'un référendum sur une initiative de sortie de crise.Pour revenir au message du Président Mahmoud Abbès, transmis par l'envoyé spécial, M. Qoreï, ce dernier a souligné que le soutien de l'Algérie est «une position constante adoptée de tout temps envers le peuple palestinien depuis le déclenchement de sa révolution. L'Algérie a fait un don, en début du mois d'octobre, de 52 millions de dollars pour soutenir le peuple palestinien». Cette somme a été versée dans les comptes de la présidence de M. Mahmoud Abbès et devait servir à régler les quelque 170.000 employés publics qui n'ont pas été payés depuis mars. L'émissaire palestinien a ajouté qu'il s'était entretenu avec le Président Bouteflika de «l'ensemble des questions liées à la cause palestinienne et des possibilités d'y trouver dans l'immédiat une issue loin des divergences», tout en mettant l'accent sur «la nécessaire sauvegarde du devenir de cette cause et du peuple palestinien». Dans son message, le Président Mahmoud Abbès a déclaré, «nous n'oublierons jamais les positions constantes du Président Abdelaziz Bouteflika, et ce, à travers les différentes étapes», en qui, dit-il, «nous saluons le militant, le pionnier des mouvements de Libération et d'Indépendance, mais aussi l'ancien ministre des Affaires étrangères qui a contribué à porter haut la voix de la Palestine aux Nations unies, et également le Président qui a su rétablir la sécurité, la stabilité et la prospérité de l'Algérie». Il a fait part dans ce message «des derniers développements du dialogue interpalestinien et les efforts, sans cesse, consentis pour parvenir à la formation d'un gouvernement palestinien capable de trouver une issue à la crise» vécue par la Palestine «après l'arrivée du Hamas à la tête du gouvernement».le quotidien d'oran,
19/10/2006
5 Annexes
Ndlr : PS : La publication des articles ou analyse ne signifie nullement que la rédaction partage les analyses ou point de vue des auteurs, mais doit être vu comme information
5-1 Nurit Peled-Elhanan : Éducation ou contamination des esprits ?
Je voudrais dédier ces mots à tous les garçons et filles palestiniens, à tous les garçons et filles libanais, ainsi qu’à tous les garçons et filles irakiens qui ont été massacrés par des garçons soldats israéliens et américains à l’esprit contaminé, et qui ont récemment rejoint ma propre petite fille dans le royaume souterrain des enfants morts, qui grandit sous nos pieds pendant que je parle...
...Je voudrais leur dire de ne pas s’inquiéter : Enfants, vous y serez bien reçus et personne ne vous blessera simplement parce que vous avez fait l’école buissonnière ou parce que vous portiez un voile sur votre tête ou parce que vous viviez dans un certain endroit. Reposez en paix, chacun a droit à une égale dignité dans votre nouveau monde. C’est le monde où les enfants israéliens demeurent côte à côte avec les enfants palestiniens. Là ils reposent, victimes et meurtriers, dont le sang a été longtemps absorbé par la Terre sainte, qui a toujours été indifférente au sang. Là ils reposent, tous victimes de duperie.
Vous tous, enfants morts, avez été trompés, parce que votre mort n’a abouti à rien du tout et le monde continue à vivre comme si votre sang n’avait jamais coulé. Parce que les leaders du monde continuent à jouer leurs jeux meurtriers, en vous utilisant comme des dés et en utilisant notre chagrin comme carburant pour leurs machines à tuer. Parce que les enfants sont des entités abstraites pour des généraux et que le chagrin est un outil politique. Vivant des deux côtés, celui des victimes et celui des tueurs, je continue à me demander, quels sont les moyens qui font que de bons enfants israéliens sont transformés en monstres assassins, quels sont les moyens qui contaminent autant leurs esprits pour qu’ils en viennent à tuer, torturer et humilier d’autres enfants, leurs parents et grands-parents, et à sacrifier leur propre vie pour rien d’autre que la folie et la mégalomanie de leurs chefs. Dans le prétendu monde occidental éclairé chacun se sent très légitime quand il blâme l’Islam pour les attentats suicide et la terreur. Mais qui songerait à blâmer le judaïsme pour meurtre ? Les enfants juifs ultra-orthodoxes qui n’ont jamais quitté Brooklyn savent que tuer des Arabes est un « mitzva » (commandement sacré) car pour eux ce sont des « vilde hayeths » (bêtes sauvages). Et les enfants israéliens commettent réellement les crimes de massacre et de torture. Ni le judaïsme ni l’Islam ni aucune autre religion dans ce domaine ne sont la cause des meurtres et de la terreur. C’est l’éducation raciste qui l’est. C’est l’impérialisme américain qui l’est, c’est l’impitoyable régime d’occupation israélien qui l’est. Les femmes et les enfants qui souffrent le plus de la violence occidentale aujourd’hui sont les femmes musulmanes mais le racisme ambiant fait que la souffrance de ces femmes est imputée au fait qu’elles sont musulmanes.
Le monde occidental aujourd’hui est infecté par la peur de l’Islam et de la matrice musulmane. La grande France de la liberté-égalité-fraternité est effrayée par des petites filles voilées, l’Israël juif appelle, dans des discours publics et des livres scolaires, les citoyens arabes d’Israël un « cauchemar démographique » et « l’ennemi intérieur ». Quant aux réfugiés palestiniens vivant sous occupation, ils sont définis dans les livres scolaires israéliens d’histoire comme un « problème à résoudre ». Il n’y a pas bien longtemps c’étaient les juifs qui étaient un problème à résoudre.
Ceci en dépit du fait que les gens qui détruisent le monde aujourd’hui ne sont pas musulmans. Les gens qui utilisent les armes désastreuses les plus sophistiquées pour tuer des milliers de civils innocents ne sont pas musulmans. Ils sont chrétiens, et juifs. Néanmoins ce sont ceux qui appartiennent aux cultures judéo-chrétiennes, qui soutiennent les crimes contre l’humanité américano-britanniques et israéliens, et en particulier contre les musulmans partout dans le monde, les personnes qui envoient leurs enfants au combat dans ces guerres inutiles impitoyables au nom de la démocratie et de la liberté qui sont des noms de code pour l’avarice et la mégalomanie, qui se voient eux-mêmes comme éclairés et blâment tout cela au nom de je ne sais quel clash imaginaire des civilisations. Quelle solution ce monde frappé par la peur offre-t-il aux Palestiniens, aux Irakiens ou aux Afghans qui sont harcelés, maltraités, torturés et affamés par les crimes et l’exploitation occidentaux ? L’offre générale que ce monde éclairé leur fait consiste à dire : soyez comme nous. Constituez une démocratie comme les nôtres, embrasser nos valeurs qui vous méprisent, qui vous considèrent comme un tas de primitifs inférieurs qui doivent être cultivés ou épurés.
Ceci, mesdames et messieurs, est l’attitude qui permet aux soldats américains de violer, torturer et tuer des hommes, des femmes et des enfants musulmans par milliers, qui permet à des soldats israéliens d’ordonner aux femmes palestiniennes de se déshabiller devant leurs enfants pour des raisons de sécurité, aux geôliers de les maintenir dans des conditions inhumaines, sans les règles hygiéniques nécessaires, sans eau ou matelas propres et de les séparer de leurs nourrissons et enfants en bas âge. De bloquer leur chemin vers l’éducation, de confisquer leurs terres, de détruire leurs puits d’eau, de déraciner leurs arbres et de les empêcher de travailler leurs champs. C’est ce qui permet aux pilotes israéliens de laisser tomber une centaine de bombes d’une tonne par jour sur le secteur le plus peuplé au monde - Gaza. C’est ce qui permet à Israël de voter les lois racistes qui séparent des mères, des pères et des enfants.
Les femmes palestiniennes, irakiennes et afghanes sont des mères comme moi. Et quand elles perdent un enfant, même si c’est un enfant de 12 ans, leur douleur est égale à la mienne. Mais en plus de perdre leurs enfants, elles perdent également leurs maisons, leur vie et leur futur parce que le monde n’écoute pas leur souffrance et ne punit pas leurs meurtriers. Leur honneur de femmes et de mères est écrasé. Leur identité est détruite et leur cri n’est pas entendu. Leur foi et leurs coutumes, leurs modes de vie séculaires sont traités par le mépris.
Les soldats américains ne sont en fait pas les seuls à massacrer des « Arabes » : les soldats israéliens le font aussi avec les Palestiniens et les Libanais. Et ces soldats israéliens n’ont probablement jamais vu un visage humain arabe avant de se retrouvent à l’armée. Mais ils ont appris, pendant 12 longues années, que ces gens sont primitifs, qu’ils élèvent des enfants pour les envoyer dans la rue jeter des pierres sur nos soldats qui-veillent-au-maintien-de-la-paix, qu’ils sont incultes parce qu’ils ne reçoivent pas notre éducation, étant fourbes et sales parce qu’ils ont une autre notion que nous de la politesse, qu’ils s’habillent différemment et se couvrent la tête avec différents morceaux de tissu. Eh bien, d’après mon expérience, il y a beaucoup plus de keffiehs que de kippas dans le camp des partisans de paix. Des enfants israéliens sont empêchés de connaître leurs voisins immédiats, leur histoire et leur culture, leurs mérites. Des enfants israéliens sont éduqués à voir en leurs voisins des éléments indésirables. Ce n’est pas de l’éducation, c’est de la pollution mentale.
Le scientifique Richard Dawkins a été le premier à parler de virus mentaux. Les enfants, parce que leurs esprits sont crédules et ouverts à quasiment toute suggestion, ne sont pas immunisés contre les pollutions mentales de toutes sortes de propagande et de mode. Ils se laissent facilement persuader de percer leurs visages et de tatouer leurs fesses, de mettre leurs casquettes à l’envers et de dénuder leurs ventres, de croire aux anges et aux fées. Ils acquièrent également facilement les croyances politiques et s’approprient les cartes mentales qui influenceront plus tard leurs décisions sur la question des futures frontières de l’État et sur la nécessité de la guerre. Tous nos enfants ont l’esprit contaminé à un âge précoce. De sorte qu’au moment où ils sont en âge de devenir de vrais soldats, ils ont déjà appris à être de bons soldats, c’est-à-dire que leurs esprits sont totalement contaminés et qu’ils sont incapables de remettre en cause la « vérité » qui leur a été inculquée. Ceci est une partie de l’explication que l’on peut donner aux actes terribles qui sont commis aujourd’hui par de braves garçons israéliens, qui sont définis encore et toujours comme des « gens attachés aux valeurs ». Il est donc grand temps de se demander de quelles valeurs il s’agit. Les lignes suivantes font partie d’une préface personnelle de Tal Sela, un de mes étudiants d’université, à son mémoire de fin d’études, qui inclut l’analyse d’un manuel d’histoire.
« Le 5 septembre 1997 je me trouvais au Liban, dans une mission de renfort. Tous mes amis étaient dans la bataille, 12 soldats ont été tués. Les jours suivants j’étais heureux : "je suis vivant, j’ai survécu", me disais-je à moi-même. Mais un an plus tard, j’étais dans une dépression profonde. Triste et morose. J’ai décidé de consulter un psychologue. Après quelques séances j’ai pu rassembler mes forces, physiques et morales. J’ai pu réorganiser mes pensées. Alors j’ai compris que la crise mentale que j’avais eu était en fait une crise morale, une crise de conscience. Ce que j’avais réellement ressenti c’était de la frustration, de la honte et de la colère...
Comment avais-je pu être si crédule et me laisser tromper ? Comment expliquer qu’un homme de paix s’expose à une expérience si morbide de son propre gré ? Aujourd’hui, comme toutes les deux semaines, j’ai conduit des activistes pacifiques aux postes de contrôle militaires de l’armée israélienne dans les territoires palestiniens occupés. J’ai vu un officier mettre les menottes à un chauffeur de taxi parce qu’il n’avait pas obéi à l’ordre des soldats pour se garer ici et pas là. "Nous le lui avons dit mille fois", disaient les soldats. L’homme était couché à terre dans la pire chaleur de l’été, assoiffé, pendant des heures. Son ami était plus chanceux : il a dû rester debout dans une cellule, sans menottes. »
Qu’est-ce qui a poussé ces jeunes garçons israéliens à jouer le rôle des juges suprêmes à en perdre tout jugement ? À mon avis c’est le grand récit sioniste qui sert de conscience collective à toute la société israélienne, tant de manière explicite qu’implicite. Ce grand récit est le système des valeurs qui nous incite à appartenir à ce collectif particulier.
C’est le système qui dicte les rapports entre nous et les Palestiniens. Comment sinon peut-on expliquer que des jeunes qui ont été éduqués à aimer leur voisin comme ils s’aiment, tuent leurs voisins, détruisent leurs établissements scolaires, leurs bibliothèques et leurs hôpitaux, pour aucune autre raison apparente que le fait que ce sont leurs voisins ? La seule explication est que leurs esprits sont contaminés par les parents, les enseignants et les leaders, qui les convainquent que les autres ne sont pas aussi humains que nous, et donc que les tuer n’est pas vraiment un meurtre ; cela porte, pour être légitimé, d’autres noms tels que « épuration », « nettoyage », « punition », « opération », « mission », « campagne » et « guerre ». Même si je parle des garçons israéliens, ce n’est pas une affaire israélienne parce que, comme vous le savez, l’épidémie est mondiale. Mon neveu, Doroni, 7 ans, qui vit aux USA, est venu à la maison le jour de Halloween et a déclaré qu’il voulait être soldat, aller en Irak et sauver l’Amérique. Combien de jeunes hommes américains, ignorants comme lui l’absurdité de cette déclaration, sont vraiment allés en Irak et y sont morts sans savoir pourquoi, mais avec les mots « sauvons l’Amérique » sur leurs lèvres ? La question est : comment ces valeurs fausses ont-elles été imprimées dans leurs esprits et comment peuvent-elles être effacées ?
La psyché humaine, dit Dawkins, connaît deux grandes maladies : la tendance à mener des vendettas de génération en génération et la tendance de mettre des étiquettes de groupe sur des personnes plutôt que de les voir comme des individus. Nous souffrons tous des étiquettes, mais c’est seulement ceux d’entre nous qui sont morts à cause des étiquettes qui se sont rendus compte que la manière de combattre les étiquettes est de les refuser. La manière de vaincre les faux systèmes de valeurs est de les mettre à nu. Les virus de l’esprit ne sont que partiellement affaiblis par des jeunes comme Tal et d’autres refuzniks israéliens tels que les « Combattants pour la paix ». Mais la plupart de nos enfants contaminés ne seront libres de l’emprise de ces virus que quand ils auront trouvé le repos final dans le royaume toujours croissant et souterrain des enfants morts. C’est seulement là qu’ils réaliseront que ce n’est pas important que leur tête ait été couverte ou pas dans une synagogue, une église ou une mosquée, qu’ils aient été circoncis ou pas, qu’ils aient ou pas prononcé des mots interdits, qu’ils aient mangé du porc ou de la vache ou qu’ils aient pris un chocolat chaud après leur pizza au salami juste avant de sauter sous la bombe de quelqu’un qui ne l’était pas ou ne l’avait pas fait. Les mères israéliennes, américaines, anglaises, italiennes élèvent leurs enfants avec tout l’amour et le soin afin de les sacrifier au dieu de la mort, comme si leur utérus est un capital national ou plutôt international. Des pères poussent leurs enfants à s’engager dans des armées dont les intérêts n’ont rien à faire avec la défense. Et quand ces enfants meurent pour le bénéfice de quelqu’un d’autre, leurs parents portent le deuil avec dignité et fierté, comme on leur a enseigné, mettant les photographies de leurs enfants morts sur le dessus de la cheminée et soupirent : il était si beau en uniforme.
Il est temps de dire à ces parents que personne n’est beau dans l’uniforme de la brutalité. Il est temps de leur dire que les uniformes, les grades et les médailles sont devenus laids. De leur dire que leur dignité et leur fierté sont mal placées. Il est temps de dire aux juifs que la seule manière de décourager l’antisémitisme c’est de condamner le seul gouvernement au monde qui envoie délibérément de jeunes juifs, garçons et filles, à une mort certaine et qui persécute, jusqu’au génocide, une nation sémite entière. Il faut leur expliquer que c’est le gouvernement juif et les actions de son armée, non je ne sais quelle haine primaire pour la race juive, qui sont les raisons de l’invention du nouveau signe que nous voyons souvent dans les manifestations pro-palestiniennes, où l’étoile de David est mise en égalité avec la croix gammée.
C’est une tâche terriblement difficile pour les personnes qui ont été éduquées en Israël ou aux USA ou dans n’importe quel autre pays « démocratique occidental » d’admettre que nous avons ont été élevés sur des valeurs racistes fausses. Sur l’hétérophobie. La seule chose qui peut mettre en valeur un tel changement dans les esprits, c’est l’image constante des petits corps mutilés des victimes de ces valeurs.
Demain c’est Yom Kippour, le jour le plus saint pour les juifs. Ce jour-là, les gens doivent demander le pardon. Pas pour pardonner mais pour essayer d’être pardonné. Je voudrais citer une strophe d’une poésie écrite par le défunt Hanoh Levin, un des plus grands dramaturges d’Israël, dans les années 70 :
Cher père, quand tu seras sur ma tombeVieux, fatigué et très seul,Et que tu verras comment ils m’ont enterré -Demande-moi de te pardonner, mon père.
Nous devons tous demander pardon à nos enfants pour ne pas avoir été plus vigilants, pour ne pas nous être battus suffisamment afin de tenir nos promesses d’un monde meilleur, pour ne pas avoir refusé plus tôt les virus du mal et pour les avoir laissés être les victimes de la contamination horrible, la contamination mentale dont nous souffrons tous. Regardons leurs petits visages innocents, hébétés et sans illusions et demandons-nous : pourquoi ce sillon de sang déchire t-il la pétale de leur joue ?
Discours tenu à l’université du Connecticut, New London, 27 septembre 2006
Le Dr Nurit Peled-Elhanan est chargée de cours en sciences du langage à l’Université hébraïque de Jérusalem, spécialisée dans le discours au sein de l’éducation israélienne, avec un accent mis sur les représentations visuelles et verbales des Palestiniens et des juifs non-occidentaux. En septembre 1997, Samarder, la fille de Nurit, a été tuée par un Palestinien dans une attaque suicide. Elle et sa famille sont membres des Familles en deuil palestiniennes et israéliennes pour la paix. Le père de Nurit, le général Matti Peled, était un héros de la guerre de 1948, devenu partisan de la paix sur la fin de sa vie.
Ses deux fils sont actifs dans les mouvements de paix des Refuzniks (soldats qui refusent de servir dans les territoires, NdT) et de Combattants pour la paix, un nouveau mouvement d’ex-combattants israéliens et palestiniens. Nurit Peled-Elhanan a reçu en 2001, le prix Sakharov du Parlement européen pour les droits de l’homme et la liberté de pensée. Elle est actuellement en tournée aux USA avec une femme palestinienne (Hanan Abu Ghosh) qui a perdu son frère âgé de 17 ans suite à des tirs israéliens.
Mazin Qumsiyeh
SOURCE : http://www.qumsiyeh.org/nuritpeledelhanan/
5-2 Shahar Ilan : Une vie qui n’est pas une vie.
L’univers d’Anouar Razem, un habitant de Jérusalem-Est, c’est l’appartement de son père, près de la Porte de Naplouse, la cour et l’échoppe qui est en bas. S’il s’éloignait, fût-ce de quelques dizaines de mètres, il serait arrêté par les policiers de la surveillance de la frontière, dont beaucoup sont présents en permanence dans le secteur. Lorsque Odeh Al-Yadah, du village non reconnu de Bir Badaj, a été blessé dans un accident de circulation, il a décliné la proposition insistante du conducteur de l’emmener à l’hôpital, en dépit de lésions internes non négligeables. La peur du système israélien était plus grande que l’inquiétude concernant ses blessures.

Lorsque Razem a demandé la main de l’élue de son cœur, le père de celle-ci lui a dit qu’il y aurait moyen d’en parler une fois qu’il aurait une carte d’identité. Al-Yadah a travaillé toute sa vie comme berger, d’abord à garder du menu bétail puis comme gardien de chameaux, et il n’a aucune possibilité de trouver un travail régulier.

Tous deux sont des héros des deux premiers chapitres de la série des « inexistants », publiée ces dernières semaines dans Haaretz et qui se penche sur des Israéliens qui n’ont aucun statut officiel, ni ici ni nulle part ailleurs dans le monde.

Ce qu’ils ont en commun, c’est de ne pas être dans la situation habituelle du séjour illégal. Ils sont nés ici ou vivent ici depuis des dizaines d’années et il n’ont nulle part d’autre où aller. Simplement pour des raisons bureaucratiques, ils n’ont pas de statut. Et parce qu’ils n’ont pas de statut, ils n’ont pas de carte d’identité, ils risquent l’arrestation à tout instant, ils n’ont pas d’assurance maladie, ils n’ont pas la possibilité d’obtenir un permis de conduire et ils ne peuvent pas travailler en conformité avec la loi. Ils sont présents absents, les fantômes de l’administration de la population.

Un autre point qu’ils ont en commun, c’est que leur problème ne disparaîtra pas, car il n’est pas possible de les expulser. Il n’y a nulle part où les expulser. L’Etat a dès lors deux possibilités. La première, c’est de leur octroyer le statut d’habitants, leur permettant de travailler et de faire vivre leur famille. La seconde, les laisser dans leur statut transparent. Au bout du compte, le cœur de beaucoup d’entre nous est fruste, grossier, quand il s’agit de la détresse de non juifs. Que le problème soit résolu ou qu’il ne le soit pas, l’affaire sera sans influence sur la balance démographique, puisque ces gens se trouvent ici, même si on ne les compte pas.

Sauf que si le problème n’est pas résolu, il ira en empirant, en se multipliant, triplant, quadruplant sur un nombre d’années pas si élevé. Des dizaines et des dizaines de femmes bédouines dépourvues de statut, donnent naissance à de nombreux enfants en leur léguant cette terrible inexistence. Des responsables de la sécurité parlent de l’Intifada des Bédouins en se demandant non pas si, mais quand elle aura lieu. On peut raisonnablement supposer que des dizaines ou des centaines de jeunes gens qui n’ont pas de statut, pas de possibilité de travailler, pas d’avenir, pas d’espoir, verseront beaucoup d’huile sur ce feu-là.

Mais pourquoi l’administration de la population ne résout-elle pas le problème ? Peut-être les gens de l’administration se considèrent-ils comme les gardiens des portes de l’Etat des Juifs par l’octroi d’un statut au moins possible de non-juifs. La réponse officielle de l’administration de la population est que chacun peut introduire une demande et que l’administration ne va pas sur le terrain pour rechercher les problèmes. Cette réponse est très belle en théorie. Dans la réalité, il s’agit en général de personnes sans éducation, qui ne savent pas l’hébreu, qui ne comprennent pas la bureaucratie, qui ne peuvent pas travailler et qui n’ont pas de quoi payer un avocat. Il s’agit des personnes les plus faibles de la société, qui n’ont aucune chance au milieu des tribulations qui mènent au bureau de la population ; au lieu de leur tendre la main, nous manifestons de l’insensibilité à leur souffrance et nous montrons hostiles à leur égard.

Il faut instaurer une commission publique pour une solution au problème des sans statut. La commission doit essayer d’identifier ces sans statut en s’appuyant sur le témoignage de proches, de chefs de communauté et sur les rares documents dont ils disposent, pour leur octroyer un statut d’habitant. D’ici là, chaque fois que la société israélienne regardera dans le miroir, les inexistants apparaîtront du plus loin de ses marges pour demander satisfaction de cette vie qui n’est pas une vie et vers laquelle nous les avons repoussés.
Shahar Ilan
Haaretz, 18 septembre 2006
www.haaretz.co.il/hasite/spages/764064.html
(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)
5-3 Shahar Ilan : On se réunifie avec soi-même.
Beaucoup parmi les habitants de Jérusalem-Est n’ont aucun droit, jusqu’à preuve du contraire ou jusqu’à ce que le tribunal en décide autrement.
Quelqu'un peut-il réaliser une réunification familiale avec lui-même ? A première vue, rien ne serait plus absurde dans la mesure où la réunification familiale est, par définition, une procédure dont la finalité est de réunir quelqu'un qui est citoyen ou résident et quelqu'un qui ne l’est pas. Donc si quelqu'un est citoyen ou résident, il n’a pas besoin de la procédure de réunification familiale et s’il ne l’est pas, comment s’inviterait-il à une réunification ?
Il ne s’agit pas d’un exercice de logique. La « réunification familiale de soi » est une notion qui s’est répandue ces deux dernières années au Service de la population de Jérusalem-Est. Jadis, lorsqu’on avait retiré, après quelques années d’absence, leur statut de résident à des habitants arabes de Jérusalem, ils pouvaient demander à le récupérer par une procédure simple. Aujourd’hui, ils sont priés d’introduire la demande dite de « réunification familiale de soi » et de s’embarquer dans une procédure comparable à la réunification familiale et qui peut durer un an ou deux.

En juin 2005, le Centre pour la protection de l’individu [‘HaMoked’] s’est adressé au Ministère de l’Intérieur en lui demandant des précisions sur la procédure de « réunification familiale de soi ». Dans sa demande, le Centre écrivait : « Récemment, notre Centre s’est heurté un phénomène nouveau dans votre Ministère, à savoir l’exigence imposée aux résidents permanents de Jérusalem-Est dont le statut de résident a été annulé, d’introduire une demande de ‘réunification familiale de soi’ pour pouvoir le rétablir. A travers un entretien que nous avons eu avec des employés du bureau de Jérusalem-Est, il est apparu qu’il s’agissait d’une procédure nouvelle, introduite il y a environ deux mois. »

Près d’un an plus tard, n’ayant pas reçu de réponse, le Centre s’est adressé une nouvelle fois au Ministère de l’Intérieur afin de redemander le détail de la procédure. Un avocat du Centre pour la protection de l’individu, Yotam Ben Hilel, souligne dans sa requête que la procédure de « réunification familiale de soi » constitue une déviation par rapport à une politique appliquée durant de nombreuses années et où les demandes de récupération du statut de résident n’étaient pas traitées comme des demandes de réunification familiale. En juin, un an après l’introduction de la première demande, est arrivée la réponse du préposé à la liberté de l’information du Ministère de l’Intérieur, Shalom Benamou : « La ‘réunification familiale de soi’ est une formule à usage interne que nous employons en parlant d’une demande de permis de retour permanent en Israël… Il n’y a pas de ‘procédure de ‘‘réunification familiale de soi’. Il existe une procédure de demande de permis de retour permanent. »

La formule à usage interne est pourtant justement celle qui décrit le mieux l’absurdité de la chose : l’Etat d’Israël demande à des gens de se réunir à eux-mêmes. Il semble parfois que le Ministère de l’Intérieur n’ait pas de limite dans l’invention de moyens visant à maltraiter les habitants de Jérusalem-Est, pour les punir d’avoir obtenu le statut de résident israélien ou de réclamer le droit à ce statut-là.

La file à l’entrée du vieux bâtiment du Service de la population de Jérusalem-Est était, on s’en souvient, devenue celle qui avait la plus mauvaise réputation du pays. Il semble, à première vue, qu’au niveau des services, les choses se soient grandement améliorées avec le déménagement dans un bâtiment plus moderne. En réalité, explique l’avocat Oded Feller, de l’Organisation pour les Droits du Citoyen, la longue file a simplement été échangée contre quatre files à peu près aussi éreintantes.

La première file, qui tient plutôt de l’attroupement, se forme à l’extérieur du bâtiment, à l’entrée du couloir du contrôle de sécurité. La deuxième file, à l’intérieur de ce couloir, est rendue particulièrement longue afin de ne pas créer de pression à l’intérieur. La troisième file se tient devant la porte tant désirée du Bureau. L’attente dans les trois premières files se fait debout et peut durer plusieurs heures. Les heureux qui sont arrivés au bout des trois files devront encore attendre un bon bout de temps (assis, cette fois) avant d’accéder aux guichets du service.

Le juge du tribunal administratif Boaz Okon a ainsi écrit : « Il ne faudra pas attendre tellement d’années avant que nous nous frottions les yeux : comment aurons-nous pu tolérer cela qui est déjà maintenant si évident ? L’accumulation des obstacles bureaucratiques est une manière supplémentaire de dire ce qui va de soi, à savoir que ces demandes (de réunification familiale) ne plaisent pas à ceux qui sont chargés d’y répondre (l’administration de la population). » Sans doute tout cela se passe-t-il dans le secteur Est de Jérusalem, situé de l’autre côté des collines et qui fait partie de l’Etat de Jérusalem si éloigné du Goush Dan. Mais en fait, cela se passe chez nous, sous notre responsabilité, de l’autre côté de la route.

Au sein du public religieux, on se plaît à accuser l’establishment laïque de l’adoption de lois de Sodome. Mais les lois de Sodome, ce ne sont pas les lois qui permettent aux homosexuels de vivre avec fierté. Les lois de Sodome, ce sont les procédures de l’administration de la population pour lesquelles tant d’habitants de Jérusalem-Est n’ont en fait aucun droit, jusqu’à preuve du contraire ou jusqu’à ce que le tribunal en décide autrement. Et même s’il décrétait qu’ils ont le droit de vivre ici, on leur fera des misères pendant de longues années, pour avoir osé en faire la demande.
Shahar Ilan
Haaretz, 28 septembre 2006
www.haaretz.co.il/hasite/spages/768407.html
Version anglaise : Uniting with themselves - www.haaretz.com/hasen/spages/768120.html
(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)